Mesdames, Messieurs,
J'imagine que ce n'est pas le sénateur que vous avez invité ce matin, encore que le Sénat soit un objet - et parfois un outil - de conservation. C'est plutôt, je crois, au Maire que vous avez choisi de vous adresser pour qu'il témoigne de son engagement au service de notre Patrimoine.
C'est donc dans cet esprit que je vais m'efforcer d'évoquer le travail de restauration (en incidente, il est frappant d'observer combien les mots du patrimoine sont connotés historiquement et politiquement !) que nous avons engagé depuis 10 ans en recensant les difficultés auxquelles nous avons dû faire face et la façon dont nous avons pu les résoudre.
1) Les difficultés :
- d'abord le scepticisme initial de la population, lié notamment au différend opposant la municipalité d'alors à l'architecte des Monuments Historiques qui bloquait depuis plusieurs années toute tentative de restauration. Les activités traditionnelles au sein du site (du terrain de boules aux manifestations sportives) étaient suspendues sans que le chantier prenne le relais.
- ensuite la question du financement : le budget annuel de la ville, je l'ai rappelé, est de l'ordre de 7 M : or, la restauration était en 2000 évaluée à plus de 200 MFrs. Réactualisée ensuite dans le contrat de Plan la première tranche de travaux n'en était pas moins égale à la totalité de notre budget d'investissement sur le mandat. Le problème devait encore s'accentuer en 2004 lorsque l'Etat décida le transfert de la maîtrise d'ouvrage aux collectivités, ce qui devait nous obliger à faire l'avance de la totalité de la trésorerie, c'est à dire à solliciter nos lignes de crédit avec les frais financiers afférents.
- enfin, l'absence de projet quant à la destination finale des lieux, et cela en raison notamment du volume concerné (10.000 m2 couverts) freinait l'engagement financier des partenaires financiers désireux de savoir où l'on voulait les conduire.
2) Comment les avons-nous surmontées ?
Disons en premier lieu que l'inscription du site au Patrimoine mondial de l'Unesco au titre des Chemins de Compostelle nous a beaucoup aidés puisqu'il a provoqué une vraie prise de conscience qu'il importait de ne pas décevoir :
- d'abord en réglant la question du pilotage de l'opération, c'est à dire en recrutant un chargé de mission à plein temps chargé de suivre le dossier dans toutes ses dimensions (programmation, passation et exécution des marchés etc.).
- ensuite en intégrant la restauration du prieuré dans un programme urbain, c'est à dire en en faisant un élément d'un chantier plus vaste de restauration de tout le centre historique. Ainsi avons-nous travaillé avec un cabinet d'urbanisme pour définir un programme que nous avons d'ailleurs scrupuleusement suivi et qui nous a permis d'articuler restauration du prieuré et des espaces attenants (rues, accès, stationnements de proximité, plan de circulation révisé etc.).
- enfin en négociant des plans de financement favorables limitant la contribution de la Ville à 5% les meilleures années,15 les moins bonnes avec une moyenne de 7 ce qui a rendu tout cela supportable mais supposé la mobilisation aux côtés de l'état, du département de la Nièvre et surtout de la Région Bourgogne, des Fonds européens.
Résultat, la Ville a aujourd'hui restauré la totalité des rez-de-chaussée et des abords pour un montant total de 14 M€ sur 10 ans, obtenu le label Ville d'Art et d'Histoire et pilote désormais un Centre Culturel de Rencontres dédié au Mot qui permettra, entre autres, de partager entre tous les partenaires, des frais de fonctionnement des espaces restaurés que la Ville n'aurait pu assumer seule. Les habitants se sont peu à peu réappropriés le site qui accueille de grandes manifestations, comme le Festival du Mot, mais aussi la fête des enfants du Centre Social afin que toutes les catégories de population se sentent copropriétaires du monument.
Certes, l'impact du projet est aujourd'hui un peu freiné par la crise mais il a néanmoins permis une remobilisation des Charitois qui sont fiers de la renaissance d'un monument qui fut la clef de leur histoire et qui doit pouvoir les aider, en retrouvant son rayonnement, à aborder l'avenir !
Nos concitoyens entretiennent avec leur patrimoine une relation quasi-affective. Il les renvoie en effet à une grande histoire, ce qui peut leur donner force et courage, mais peut conduire aussi à entretenir la nostalgie d'une "grandeur enfuie". Sa restauration ne doit donc jamais s'inscrire dans une invocation d'un passé figé mais dans une continuité qui appelle de notre part la volonté d'associer préservation et création : démarche qui nous a amené à accueillir les vitraux de Christopher Wool dans la salle capitulaire et j'espère demain l'œuvre de plasticiens contemporains. Nous avons voulu ainsi non seulement rendre à l'œuvre des moines, des architectes, des artisans qui ont édifié le prieuré, ce que nous lui devons, mais pousser cet hommage jusqu'à y ajouter en bonne intelligence les témoignages de notre temps.
Je vous remercie.