Depuis ma participation au débat sur l'ouverture des jeux en ligne voici cinq ans, je continue à suivre de près l'évolution de la réglementation applicable à ceux-ci.
Et voici qu'une mesure plus que préoccupante a été adoptée à la fin de l'examen en Commission du Projet de Loi pour une République numérique, la semaine passée, à l'Assemblée nationale, sans que toutes ses implications aient, me semble-t-il, été prises en compte.
Alors qu'Axelle Lemaire, Secrétaire d'Etat en charge du Numérique, venait d'annoncer la nomination de deux parlementaires dont la mission sera de réfléchir à la régulation des compétitions de jeux vidéo avec argent, les rapporteurs ont, contre son avis, fait adopter un amendement qui prévoit « un agrément du ministre chargé de la jeunesse aux organisateurs de compétitions de jeux vidéo, notamment à dominante sportive, requérant la présence physique des joueurs ».
Outre que les services du ministère ne disposent ni des moyens, ni de l'expertise pour délivrer de tels agréments, la définition de ces jeux risque de mettre à bas tout le dispositif difficilement mis en place par la loi adoptée voici cinq ans. Il est précisé en effet que :
« II. – Un arrêté du ministre chargé de la jeunesse fixe la liste des logiciels de loisirs, sur un support physique ou en ligne, s'appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées, pour lesquels les organisateurs de compétitions peuvent bénéficier de l'agrément prévu au I du présent article.
« Ces logiciels de loisirs font prédominer, dans l'issue de la compétition, les combinaisons de l'intelligence et l'habilité des joueurs, en mettant à leur disposition des commandes et des interactions se traduisant sous formes d'images animées, sonorisées ou non, et visant à la recherche de la performance physique virtuelle ou intellectuelle.
« L'arrêté fixe également, pour chaque logiciel de loisir, l'âge minimal requis des joueurs pour participer à la compétition. »
Ce qui signifie que plus rien n'interdira demain à un opérateur de jeux d'argent de proposer un jeu de poker s'appuyant sur une trame scénarisée dans des conditions dérogatoires aux règles existantes, qui plus est à des mineurs puisque l'amendement évoque un âge minimal requis pour les compétitions de jeux vidéo, sans plus faire référence à l'interdiction pour les mineurs de jouer de l'argent.
Le choix du Ministère de la Jeunesse pour donner des agréments à des compétitions de jeux vidéo avec argent était d'ailleurs déjà un signal très inquiétant quant aux intentions des rapporteurs concernant la protection des mineurs, le ministère de l'Intérieur normalement compétent en la matière ayant été délibérément écarté.
En somme, on s'apprête à autoriser selon un régime exceptionnel ce qui ressemblera à des tournois de Poker en ligne sans aucune des précautions voulues par le législateur en 2010. Qu'une telle initiative, qui doit complaire au milieu concerné, vienne de la gauche a de quoi surprendre d'autant qu'il s'agit de l'aveu même de ses initiateurs de tenir l'Autorité de régulation des jeux en ligne à l'écart et d'affaiblir ainsi une régulation pourtant indispensable.
Alors que le groupe socialiste à l'Assemblée nationale s'était mobilisé avec force, en 2010, contre l'ouverture à la concurrence de jeux en ligne, il est incompréhensible qu'en 2016, il s'engage de la sorte dans la voie d'une libéralisation, sans quasiment aucun contrôle, d'un secteur des jeux d'argent en plein essor. J'en appelle à mes anciens collègues avec lesquels nous nous étions opposés à la privatisation du secteur des jeux d’argent, Michèle Delaunay, Olivier Dussopt, Aurélie Filippetti, Valérie Fourneyron, Christian Hutin, Régis Juanico, et bien sûr Jean-Marc Ayrault, qui, en tant que Président du groupe, avait porté à l'époque ce combat contre la Loi Fouquet’s, pour que ce dispositif ne soit pas voté en séance cette semaine.