<p>Discours</p>
Intervention de Gaëtan Gorce
Monsieur le Ministre, Mes Chers Collègues,
Ce débat débute sur un paradoxe.
Je ne fais pas allusion ici, naturellement, à la situation dans laquelle se trouve le Gouvernement et le Président de la République, qui voulait être, voici un an, le candidat de la hausse du pouvoir d’achat et qui, une fois élu, est devenu le Président de la baisse du pouvoir d'achat. Il faut croire que les premiers mois de son quinquennat ont été de ce point de vu mal employés.
Je ne fais pas allusion non plus à la situation ambiguë qui vous ramène sur ces bancs, Monsieur le Ministre, succédant à Madame Lagarde, qui, au début d’une session extraordinaire, convoquée tout exprès, nous présentait voici quelques semaines, les mesures sensées pouvoir bénéficier elles aussi au pouvoir d’achat. Il faut croire que tel n’a pas été le cas puisque nous voilà saisi en urgence d’un nouveau texte, par un nouveau ministre. L’histoire nous dira qui du précédent texte ou du précédent ministre a évidemment échoué.
Non, je ne me laisserais pas aller à ces facilités
<p>Discours</p>
de langage et de raisonnement. Mais prenez garde cependant que l’opinion et nos concitoyens ne soient tentés de le faire.
Non, je m’étonne simplement que vous commettiez aujourd’hui, vous que l’on a connu plus méticuleux et attentif, la même erreur que celle que vous nous avez reprochés avec les 35 heures !
Vous nous avez reproché en effet tout au long de la précédente mandature, et encore aujourd’hui, d’avoir « instrumentalisé » la durée du travail pour encourager l’emploi et vous n’aviez de cesse de rappeler que le travail ne se partage pas.
Et voilà qu’aujourd’hui, vous faîtes le choix de manipuler la durée du travail pour favoriser, dites-vous, le pouvoir d’achat, oubliant que la seule richesse supplémentaire que l’on peut distribuer, c’est celle que le surcroît de croissance, a créé. Or, c’est là justement que le bât blesse, puisque de surcroît de croissance il n'y a pas. Il y aurait même plutôt, dans ce domaine, au regard de vos prédécesseurs, non un «plus » à partager mais un manque à gagner.
Et au regard de cette réalité, les mesures que vous nous proposez, en particulier à l’article 1er, sur le rachat des RTT sont en effet tout à la fois injustes, inefficaces et excessivement coûteuses.
Elles sont d’abord injustes puisqu’elles ne concernent pas tous les salariés, mais seulement ceux qui disposent d’un compte épargne temps (c'est à dire moins d'un salariés sur cinq) ou de jours de RTT stockés (c'est à dire moins d'un salariés sur vingt) et que tous les salariés concernés n’en bénéficieront pas puisque sa mise en œuvre sera soumise à la décision de l’employeur. En laissant de côté les partenaires sociaux et la négociation sociale, vous rendez la mise en œuvre de ce dispositif encore plus incertaine.
Ces mesures sont ensuite inefficaces. Elles sont la copie conforme de celles adoptées dans le cadre de la loi Borloo en 2005, qui prévoyait déjà pour les entreprises de moins de 20 le rachat des RTT. Il
faut croire que ce dispositif n’était pas très satisfaisant, puisque vous voilà obligé de le relancer sans qu'aucune étude n'ait été faite de cette première expérience. Inefficaces aussi, parce qu’elles viennent également juste après les dispositions adoptées en juillet sur la rémunération des heures supplémentaires, sans qu’on ait pu, là encore, vérifier que ces mesures, qui vont coûter 6 milliards d’euros, aient pu produire le moindre résultat positif. Inefficaces enfin du point de vue des
exonérations fiscales, comme du point de vue du taux de rémunération, moins favorables que ceux prévus cet été dans la loi TEPA. Inefficaces, enfin, au point que vous envisagiez par amendement de prolonger le délai durant lequel ce dispositif pourra fonctionner, vous apercevant un peu tard que, pour l’essentiel, les jours de RTT au 31 décembre auront déjà été consommés ou annulés.
Ces mesures sont enfin excessivement coûteuses, et c’est peut-être là que le débat est pour vous et pour le pays plus douloureux. En prétendant en effet distribuer du pouvoir d’achat via les heures supplémentaires, vous déconnectez l’évolution des rémunérations de celle de la valeur créée. Ce faisant, vous encourez un triple reproche : favoriser les effets d’aubaines, c'est-à-dire la transformation de primes en heures supplémentaires ou simplement la rémunération d’heures supplémentaires qui auraient été faites de toute façon ; provoquer un effet récessif sur l’emploi qui sera naturellement pénalisé ; et produire , par ricochets, ce qui est un comble, des effets indirects négatifs sur le pouvoir d’achat puisqu'il faudra bien compenser d’une manière ou d’une autre sur le budget de l'État ou sur celui de la Sécurité sociale, les exonérations sociales et fiscales que vous accordez généreusement alors que les caisses sont vides. Les exonérations ne sont en effet gagées par aucune progression de l’activité qui dépend des commandes et du niveau général de la croissance.
Au total, beaucoup de bruit pour rien ! Beaucoup d’argent public dépensé aussi en pure perte ! C'est sans doute la raison pour laquelle vous vous gardez bien d’ailleurs d’anticiper l’impact de ces mesures. Et l’on ne peut qu’être frappé, pour ne pas dire choqué, de l’écart entre l’ampleur des sommes que vous mettez en jeu et la faiblesse, voire l'absence, des analyses et des études sensées justifier leur usage.
La réalité, c’est que la situation vous échappe et que vous vous livrez à un exercice d’improvisation qui serait peut-être acceptable si la situation de nos finances publiques et sociales n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui.
J’ajoute, et ce sera là ma conclusion, qu’il serait souhaitable enfin, que vous appliquiez à vous-même les recommandations que vous nous avez faites et que vous cessiez d’utiliser la durée du travail à des fins qui n’ont rient à voir avec l’objet de cette réglementation. Votre argumentaire contre les 35 heures s’en trouve, permettez-moi de vous le faire remarquer, singulièrement affaibli.
Où se trouve, en effet, la source de nos difficultés ? Tous les économistes s’accordent désormais sur ce point : de l’insuffisance de notre croissance, qui fait que notre richesse nationale est désormais inférieure de près d’un tiers à celle des États-Unis. Ce constat est d’ailleurs valable pour l’ensemble de l’Union européenne. Cet écart est dû d’abord pour un tiers à une productivité insuffisante, à laquelle on ne pourra remédier qu’en investissant massivement dans l’innovation et la formation. Que n’en faites-vous une priorité plutôt que d’amuser la galerie avec des dispositifs bricolés hâtivement qui font de vous une sorte de Géotrouvetout de l’emploi, mais certainement pas un acteur déterminé d'une croissance plus forte !
Cet écart est dû pour un second tiers à la faiblesse de notre taux d’emploi en particulier des jeunes et des seniors pour lesquels nous sommes toujours en attente, de votre part, de l’esquisse d’un début du commencement de proposition. Et pour un tiers enfin, et pour un tiers seulement devrais-je dire, à la durée du travail. Pourquoi alors, plutôt que de faire de la durée légale du travail une tunique de Nessus, ne pas laisser aux partenaires sociaux, par branche professionnelle, le soin d’en discuter ? Il faut, dans l’intérêt de notre économie, comme de nos entreprises et des salariés, cesser de faire de la durée du travail l’enjeu de polémiques politiques stériles .
Fixée à 35 heures, la durée légale du travail est désormais une donnée à laquelle vous ne pouvez pas réellement vous attaquer, sauf à remettre en cause l’équilibre d’accords complexes conclus dans la grande industrie et à susciter une très forte réaction de la part des salariés qui en bénéficient. Son relèvement uniforme n’aurait aucun sens d’un point de vue économique et de l’emploi.
Et les exceptions, à cette durée, que vous multipliez, complexifient la législation, créant la confusion et coûtant cher à nos finances publiques.
Ne serait-il pas temps de clore cette querelle et de redéfinir les rôles respectifs de l'État et des partenaires sociaux sur ce sujet ? A l'État la durée légale, les durées maximales, les jours de repos et le taux de base de rémunération des heures supplémentaires. Tout le reste aux partenaires sociaux dans le cadre d’accords majoritaires pour prendre réellement en compte les réalités mouvantes et les besoins des branches professionnelles qui ne sont pas toutes confrontées aux mêmes difficultés.
Nous avons, pour notre part, cherché à jouer sur la durée du travail pour favoriser l’emploi. Je ne le regrette pas car la situation qui prévalait voici dix ans en matière d’emploi justifiait que tout soit tenté pour faire reculer le chômage. Mais le temps est aujourd’hui bien dépassé où l’on peut jouer sur la durée du travail à la baisse pour favoriser l’emploi, comme à la hausse pour encourager le pouvoir d’achat. Stabilisons la règle et laissons à la négociation le soin de l'ajuster.
Il sera alors possible de s’attaquer aux vrais problèmes auxquels est confrontée notre économie, qui sont d’abord ceux de la création de richesses. Cette création de richesses ne se décrète pas plus par les heures supplémentaires que la création d’emplois ne se décrète par la baisse de la durée du travail. Il faut faire une véritable révolution culturelle. Contrairement à ce qu'a pu dire le président de la République, ce n'est pas avec les dents que se gagnera le point de croissance qu'il nous manque, mais avec le cerveau, c'est à dire en investissant dans la matière grise, en encourageant la qualification et la connaissance : en mettant dans la formation le point de PIB supplémentaire qui nous sera rendu par la croissance. Votre vision est datée puisqu'elle anticipe une concurrence par les coûts que nous ne pourrons pas soutenir. Je dois à la vérité de reconnaître que nous avons pu, avec la réduction du temps de travail, contribuer à cette vision fausse de l'avenir puisque pour beaucoup, elle a signifié de devoir faire en 35H ce qui se faisait jusqu'alors en 39H. L'enjeu est désormais ailleurs, : il ne peut s'agir ni de travailler plus, ni de travailler moins, mais de travailler mieux. D'une certaine manière, cette priorité à la formation doit nous conduire à reformuler la fameuse sentence de Victor Hugo : une école qui ouvre, c'est demain une Agence pour l'emploi qui ferme !
C'est à cette tâche que je vous invite à vous consacrer et dans l'urgence, Monsieur le Ministre, plutôt que d'embrouiller les esprits et d'affaiblir nos finances publiques, par des mesures inadaptées qui créent plus de désillusion que de satisfaction.
Notre ambition ne doit pas être d'inviter les Français à travailler plus pour gagner plus, mais à se former plus pour gagner plus.
oh ! nuitmagique ici ?
Lu sur libé bien souvent avec plaisir.
Suis contente !
Bonnes fêtes de fin d'année.
Rédigé par : Hélène | 29 décembre 2007 à 12:08
Ce que je trouverais intéressant serait que tu t'engages complètement dans cette voie que tu ne fais que survoler, tu parles de la formation qui fait partie du contenu du nouveau contrat de travail. Pourquoi n'abordes-tu pas ce sujet en profondeur ? J'ai suivi ton intervention à l'assemblée, il me parait opportun de songer à racourcir, tous au PS, le temps de vos interventions pour aller à l'essentiel.
Rédigé par : nuitmagique | 25 décembre 2007 à 08:49