Nicolas Sarkozy a prononcé à Saint Jean de Latran, à quelques jours de Noël, un discours important. Je ne suis pas de ceux qui seront, par principe ou par intérêt, choqués que l'on puisse aborder les questions spirituelles - laisser le religieux aux religions, c'est courir le risque du fanatisme, ni que l'on puisse vouloir reformuler l'exigence laïque dans une France qui a profondément changé.
Je ne suis pas choqué non plus et je comprends l’éloge de la foi, et plus encore de l’espérance si nécessaire à la personne humaine. Tout ce qui l’élève ne peut être que profitable à tous. Ce n’est donc pas tant ce qui figure dans ce discours qui me pose problème que justement ce qui n’y figure pas.
Que le débat religieux ait pu en France
au début du 20ème siècle susciter du sectarisme, et même parfois du fanatisme, est vrai. Mais l'Église, par son engagement idéologique et politique à l’époque, n’a t-elle pas autant à se reprocher que certains laïques ? Oui, la République a intérêt à ce « qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses ». Mais la religion n’est pas seule à pouvoir exalter « l’aspiration d’infini ». Si la parole laïque peut effectivement « s'épuiser dans le fanatisme », pourquoi n’avoir pas rappelé que la religion en avait aussi, lorsqu’elle a confondu le spirituel et le temporel, apporté une illustration analogue ?
Pourquoi, aussi, limiter le champ de l’espérance à celui de la religion, même si le Président de la République prend soin de préciser (mais comme une incidente, alors qu’il s’agit d’un point fondamental) que : « la frontière entre la foi et la croyance n’est pas et ne sera jamais entre ceux qui croient et ne croient pas »? N’est-il pas également d’autres formes d’humanisme tout aussi respectables ?
Pourquoi, en insistant sur les racines chrétiennes de la France, ce qui ne me gène pas (et même me touche en songeant au « blanc manteau d'églises » de Surger), sembler ignorer la réalité contemporaine et l’influence d’autres sensibilités, et notamment musulmane, dont l'omission peut ressembler à une forme d’exclusion ?
Et pourquoi cette mise en cause du rôle de l’instituteur ? Ou bien celui-ci n’intervient pas dans le même champ que le prêtre et alors la comparaison est injustifiée. Ou bien on reconnait à sa mission, ce qui me semble juste, une dimension éthique à travers la confiance, qu'il doit transmettre, dans la raison universelle et alors une telle opposition, qui met en concurrence deux visions du monde pour contester la force spirituelle de l’une au détriment de l’autre, est plus que discutable. Ma conviction profonde est que l’humanisme laïque a suscité d’aussi belles vocations, fourni d’aussi beaux exemples que la vocation religieuse et que, privé du soutien même de la foi, elle a peut-être encore plus de mérite à s’accomplir.
Ces « ambigüités » du propos ne peuvent que nuire à sa qualité et à son impact sur notre société. Peut-être même ressusciter des polémiques alors qu’il doit s’agir au contraire d’approfondir une réflexion qui doit redevenir partie de nous-mêmes et du monde dans lequel nous vivons.
Qu’un Président de la République choisisse de parler du « spirituel » et s'interroge sur des questions qui vont au-delà des simples choix de la raison, me semble plus qu'utile : précieux ! Mais à la condition de ne pas laisser place au moindre doute sur l’équilibre profond que doit respecter la République entre les différents points de vue.
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