Faut-il boycotter les JO de Pékin ? Ainsi posée, la question ne peut pas appeler de bonne réponse. Il faut plutôt se demander quelles conséquences politiques et diplomatiques il convient de tirer de l'attitude de la Chine à l'égard de la revendication légitime d'autonomie et d'identité du Tibet ?
Observons tout d'abord que le comportement du gouvernement chinois en matière de Droits de l'Homme n'était un secret pour personne lorsque le choix de Pékin pour les JO de 2008 a été fait. Il l'a été entre autre pour reconnaître la place nouvelle qu'occuperait désormais la République populaire sur la scène internationale. Chacun a considéré à l'époque, et ces arguments sont aujourd'hui encore valables, qu'il valait mieux faire entrer la Chine, comme on l'a fait par exemple pour l'OMC, dans le jeu des nations que de la tenir à l'écart. Mieux vaut s'en tenir aux faits : elle constitue une grande puissance économique et militaire dont l'influence ne cessera de croître et avec laquelle il est indispensable de dialoguer.
Observons ensuite que la question du Tibet reste, quoique l'on pense, une question intérieure. Aussi difficile que cela soit à admettre au regard de l'histoire et des évènements qui agitent aujourd'hui la Province, la reconnaissance de la Chine par les États occidentaux s'est faite dans ses frontières de l'époque, incluant, après l'occupation de 1950 et les violences de 1959, le Tibet. La Chine ne pourrait par conséquent ressentir un boycott des JO que comme une volonté de l'humilier. N'oublions jamais que deux éléments-clé pèsent dans l'état d'esprit des dirigeants chinois d'aujourd'hui : effacer l'humiliation de la fameuse Guerre de l'opium où le gouvernement chinois dut, au milieu du 19ème siècle, renoncer à ses droits sous la pression et la menace des puissances coloniales ; prévenir et empêcher tout démembrement territorial vécu dans l'histoire de l'Empire de Chine comme le prélude inéluctable son affaissement politique.
Observons enfin, et au regard de ce qui précède, que l'ordre international, pour autant que l'on puisse retenir ce terme, ne se définit pus exclusivement à partir du point de vue exprimé par les nations occidentales, et en particulier par les États-Unis et ses alliés. La grande nouveauté de ses dix dernières années, c'est que le monde s'est de facto multipolarisé et que notre sécurité comme notre diplomatie reposent sur la prise en compte attentive, objective, de cette situation nouvelle. Une menace pèserait sur les institutions internationales si elles apparaissaient exclusivement comme les instruments d'une hégémonie atlantique. Des coopérations régionales pourraient voir le jour, s'affranchissant de ce qui serait toujours présenté comme la loi commune mais qui ne serait plus reconnue comme tel. Contrairement aux déclarations maladroites et choquantes de Bernard Kouchner, ce n'est pas le poids de la Chine dans nos relations commerciales qui doit contribuer à définir notre diplomatie, mais bien plutôt la réalité d'un monde qui a changé (et qui continuera de le faire).
Cela signifie t-il qu'il ne faille rien tenter pour que cessent les violences faites au peuple tibétain et pour que les Droits de l'Homme soient au Tibet, et ailleurs en Chine, mieux respectés ? Évidemment non ! Mais la réponse ne peut résider dans le camouflet que représenterait le boycott. Elle doit reposer au contraire dans le rappel fait explicitement par les gouvernements à la Chine des responsabilités qui sont les siennes en contrepartie de la place qui lui est reconnue et du respect qui lui est dû. Les déclaration récentes du Président le République vont ainsi dans le bons sens. Il faut maintenant qu'elles soient relayées par l'Europe et qu'elles prennent de l'ampleur. Elles ne doivent pas servir à se défausser mais à jeter les bases d'une pression politique et diplomatique continue pour faire cesser la répression et inviter à l'ouverture d'une véritable discussion entre Pékin et les responsables tibétains sur l'autonomie de leur territoire et le respect de leur identité.
Que l'on s'offusque de ce qui se passe au Tibet, c'est bien. Mais depuis longtemps les Han (Chinois) traitent un autre peuple de leur territoire d'une manière tout autant condamnable : les Oïgours. La répression est au moins aussi terrible qu'au Tibet contre ceux qui se révoltent contre l'arrivée massive et régulière de colons chinois, les autochtones sont emprisonnés, tués sous prétexte qu'étant musulmans ils sont taxés d'être des terroristes. La différence dans l'information sur ces deux tragédies tient à ce que les Tibétains ayant fui la répression chinoise se sont réfugiés dans des pays ouverts et visités par les media occidentaux, et qu'ils possèdent un leader remarquable dans sa communication, alors que les Oïgours pourchassés fuient vers le Kazakstan et les autres pays d'Asie Centrale, dont on ne peut pas dire qu'ils reçoivent facilement les journalistes occidentaux. Cette comparaison montre une fois de plus qu'un évènement ne devient mondial que s'il est abondammment mediatisé.
Rédigé par : Bothorel | 25 mars 2008 à 13:08