Se sont croisés, en cette fin de semaine dernière, deux sujets en réalité étroitement liés. Vendredi le Président de la République annonçait son plan jeunes, sur les défaillances duquel je ne reviendrai pas ; samedi, se tenait au Sénat, autour de Vincent Peillon, Thierry Mandon, Najat Belkacem et quelques autres, une journée de réflexion sur la démocratie. Jeunesse, démocratie, ces deux questions mérient d'être rattachées. La lecture du sévère mais solide ouvrage de Jacqueline Costa-Lascoux, souligne combien notre jeunesse se sent aujourd'hui exclue de nos institutions, politiques en particulier et nourrit à leur encontre un sentiment qui oscille entre l'indifférence, la colère et l'humiliation (qui constitue précisément le titre de son livre publié aux éditions de l'Atelier).
Pareille situation ne pourra être corrigée par le seul effet de mesures symboliques. Il y faudra une volonté, une constance, une détermination dans les actions à conduire qui ont jusqu'à présent fait défaut. Mais les symboles ne sont par définition pas dénués de poids. Certaines Bastille, même si elles sont purement formelles, méritent encore d'être prises. C'est le sens de la proposition de loi, que je viens de déposer avec mes collègues Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Philippe Tourtelier, Jacqueline Fraysse et François de Rugy, qui vise tout simplement à aligner l'âge à partir duquel l'on peut être candidat à des fonctions électives nationales sur l'âge auquel on a le droit de voter.
Notre système politique est encore à ce point conservateur que s'il a admis, voici quelques années, que l'on pourrait dès dix-huit être candidat à la mairie de Paris, a néanmoins maintenu des seuils différents pour accéder à l'Assemblée nationale (23 ans) ou au Sénat (30 ans). On notera que le législateur exige ainsi moins de « sagesse » pour devenir sénateur que pour entrer à l' Élysée (l'âge d'éligibilité à la Présidence de la République étant aligné sur l'âge d'accès au Palais-Bourbon). Tout ça, me direz vous, ne va pas très loin... et bien je ne suis pas de cet avis! Cela en dit long au contraire sur un état d'esprit, une forme de défiance, qui justifie l'injustifiable, à savoir que l'on puisse encore dans ce pays être citoyen, c'est à dire avoir le droit de voter, sans avoir celui d'être élu. Ne serait-il pas temps d'y mettre un terme? C'est le sens de la proposition de loi que je vous invite à découvrir et à soutenir.
Gaëtan Gorce
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
visant à abaisser l’âge d’éligibilité à dix-huit ans pour les mandats de Président de la République, de député, de sénateur et de député européen
PRÉSENTÉE
par Gaëtan Gorce, Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Philippe Tourtelier, François de Rugy et Jacqueline Fraysse
Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Voici trente-cinq ans, le 16 juin 1974, le Parlement français avançait la majorité civique à 18 ans. Ce texte constituait un progrès significatif de la citoyenneté. Il faudra pourtant attendre plus d’un quart de siècle, pour qu’en 2000 puis en 2003 soit symétriquement abaissé l’âge d’éligibilité aux différentes fonctions locales. Ces réformes, accueillies avec enthousiasme, ont donné un souffle nouveau à nos collectivités territoriales.
On peut dès lors s’étonner et regretter que ce processus se soit interrompu précisément aux portes de la Représentation Nationale. Nos concitoyens les plus jeunes doivent encore attendre jusqu’à vingt-trois ans pour se présenter aux mandats de député, de député européen, de Président de la République, et jusqu’à trente ans pour devenir sénateur.
Ce paradoxe est d’autant plus grand si l’on veut bien admettre que nos jeunes concitoyens sont de plus en plus sollicités et responsabilisés dans le prolongement de la hausse du niveau général d’éducation. C'est d'ailleurs dans ce contexte qu'a été abaissé l'âge de responsabilité pénale à treize ans et celui de la majorité sexuelle à 15 ans.
La Nation aurait aujourd’hui tout à gagner à fixer à dix-huit ans l’âge d’éligibilité à tous les mandats électifs sans exception.
Il en va d’abord d’une conception plus cohérente de l’égalité des droits et de la représentation politique : comment justifier encore que nos concitoyens les plus jeunes soient tenus à l’écart de la représentation nationale entre 18 et 23 ans, voire entre 18 et 30 ans s’agissant du mandat de sénateur ? Comment justifier que l’on puisse encore de nos jours être citoyen français, et par conséquent électeur, sans être éligible ? N’est ce pas davantage au peuple français, en exerçant son droit souverain, de choisir ses représentants et d’apprécier si leur âge constitue un atout ou un handicap ? Comment par ailleurs ne pas observer que l’âge moyen de nos Représentants augmente d’année en année, pour atteindre aujourd’hui 55 ans à l’Assemblée Nationale et 62 ans au Sénat.
Il en va enfin d’une certaine cohérence de notre système démocratique, ces trois paliers d’éligibilité (18, 23 et 30 ans) ne contribuant pas à la clarté des règles concernant les institutions de la République, qui ne devraient souffrir aucune incertitude, ni aucune exception.
C’est pourquoi nous avons l’honneur de vous présenter deux articles destinés à mettre un terme à ce qui constitue désormais une injustifiable inégalité :
S’agissant du mandat de Président de la République, comme ceux de député et de député européen, l’article premier modifie l’article LO 127 de façon que l’on puisse se présenter à ces trois fonctions à l’âge de sa majorité : dix-huit ans, et non plus vingt-trois.
L’article 2 modifie l’article LO 296 du code électoral de façon à ce que le palier d’âge pour se présenter aux élections sénatoriales soit également l’âge de la majorité, et non plus trente ans.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
Article 1er
L'article LO 127 du code électoral est ainsi rédigé :
« Tout citoyen qui a dix-huit ans révolus et la qualité d'électeur peut être élu à l'Assemblée nationale dans les conditions et sous les réserves énoncées aux articles suivants »
Article 2
L’article LO 296 du code électoral est ainsi modifié :
Le premier alinéa est abrogé
Le début du deuxième alinéa est rédigé comme suit : « les conditions d’éligibilité… (le reste sans changement) »