François Fillon se contredit sur les gaz lacrymos pour la Tunisie
Le mardi 25 janvier, j'indiquais, pendant les questions au gouvernement, que le ministère de l'Intérieur, le ministère de la Défense, le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Finances avaient donné leur accord à une exportation de grenades lacrymogènes à destination du régime tunisien, au moment même où Ben Ali tentait d'écraser dans le sang la légitime contestation de son peuple.
Le mercredi 26 janvier, ma collègue George Pau-Langevin, changeait au pied levé sa question au gouvernement pour faire état des révélations du Monde qui nous apprenait qu'il s'agissait non d'une, mais de quatre autorisations d'exportation qui avaient été délivrées par lesdits ministères.
Michèle Alliot-Marie ne répondit absolument pas à ma question, quant à François Fillon, il déclara que « les exportations de matériel de maintien de l'ordre dans notre pays ne sont pas soumises à la même procédure d'autorisation que les exportations d'armes. Ce sont des exportations qui sont contrôlées par les douanes », en omettant sciemment de dire, que pour exporter des grenades lacrymogènes à l'étranger, un fournisseur doit remplir un formulaire AEPE (autorisation d'exportation de poudres et explosifs - Cerfa n° 13375*01), dont plusieurs exemplaires sont destinés aux différents ministères.
Le soir même, par lettre, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, radical et citoyen, demanda officiellement au Premier ministre de « transmettre le détail de toutes les livraisons d'armes et de matériel de maintien de l'ordre qui ont eu lieu depuis décembre 2010 au profit des autorités tunisiennes et d'indiquer, pour chaque ministère, quand les autorisations d'exportation ont été données et enfin, de dire si toutes ces exportations ont été bloquées et par qui ».
Autorisation d'exporter donnée en 24 heures contre 10 jours
La réponse qu'il a reçu le 31 janvier de Matignon est riche en enseignements : François Fillon reconnaît d'abord que les douanes ont bien délivré deux autorisations d'exporter du matériel de maintien de l'ordre, après avis favorable du ministère de l'Intérieur, et avis sans objection du ministère de la Défense et des Affaires étrangères le 12 janvier, c'est-à-dire le lendemain même de la proposition de Michèle Alliot-Marie au régime de Ben Ali, d'apporter le « savoir faire » de la France en matière de maintien de l'ordre.
Il faut rappeler qu'en ce 11 janvier, la presse faisait état de 50 morts depuis la mi-décembre, dont 35 morts le week-end précédent (avec une liste nominative des victimes établie par la FIDH), preuve d'une terrible escalade dans la répression.
Or, nous apprend la lettre du Premier ministre, ces autorisations ont été données en 24 heures contre 10 jours pour des autorisations équivalentes demandées au mois d'octobre.
Force est de constater qu'au moment même où la répression battait son plein, les autorisations nécessaires à l'exportation de matériel de maintien de l'ordre ont été délivrées de manière particulièrement rapide, ce qui est injustifiable.
Ensuite, le Premier ministre avoue que ce n'est que le 18 janvier, soit 4 jours après le blocage de la cargaison et la chute du régime de Ben Ali que le Quai d'Orsay a demandé la suspension des quatre AEPE en cours sur la Tunisie, mais seulement après que l'administration des douanes a interrogé le ministère des Affaires étrangères, afin d'établir si, compte-tenu du pays de destination, l'avis sans objection formulé par ce ministère devait ou non être maintenu.
L'absence de réactivité de Michèle Alliot-Marie s'avère de ce point de vue totalement dramatique.
Deux exportations ont-elles été réellement bloquées ?
Plusieurs questions demeurent cependant sans réponse. Pourquoi les deux premières exportations n'ont-elles pas eu lieu ? Si les autorisations ont été données le 12 janvier, cela prouve bien que le gouvernement ne voyait pas d'objection à exporter ce type de matériel, d'autant plus que, deux jours après cette autorisation, le 14 janvier, la livraison était prête à être embarquée au moment où les douanes, de leur propre chef, ont décidé de procéder au contrôle de la marchandise.
En l'absence de réponse à cette question, on peut d'ailleurs douter que les deux premières exportations aient été bloquées. Quelle était ensuite la nature de ces exportations ? S'agissait-il de matériel différent ? En quelle quantité ? D'autres entreprises avaient-elles demandé des autorisations, car sinon, pourquoi faire quatre commandes ?
Toutes ces hésitations, ces maladresses et ces contradictions sont révélatrices de la défaillance de notre diplomatie. L'Afrique n'intéresse plus le président de la République. Cela coûte cher à l'influence de la France !