Dans un papier daté du jour même de Noël, Michel Noblecourt appelle de ses vœux un ultime présent à déposer au pied du sapin dressé par la gauche : une théorisation du Hollandisme ! Une mise en système et en perspective de l'action du deuxième président socialiste de la 5ème République ! Or, pas plus que pour le premier, un tel exercice n'est concevable. L'un comme l'autre résistent par principe à la formalisation de leur politique. Non que François Mitterrand n'ait pas agi au nom d'une sorte de vision. Plus de la France dans le monde que du socialisme dans la société, certes ! Et aussi masquait-il par une rhétorique qui savait manier références historiques et littéraires une vacuité idéologique qui n'était, en réalités, pas pour lui déplaire. Enfin, ses deux mandats se situèrent au confluent de tant de bouleversements, à la charnière de l'avant et après chute du Mur, que l'incertitude conceptuelle qui les entourait semblait non seulement concevable mais quasi-inévitable et, du coup, excusable !
Au delà des différences de tempérament, de parcours et de formation, François Hollande reste son héritier. Prisonnier volontaire de son héritage. Le nouveau Président n'éprouve pas plus que l'ancien le besoin d'inscrire sa politique dans une perspective idéologique. Aussi ne saurait-on s'étonner qu'aucun ouvrage, qu'il soit écrit de la plume du chef de l'Etat lui-même ou de celle de ses amis ou alliés les plus proches, ne remplisse cet office. Et si l'on ne peut définir le "Hollandisme", c'est justement parce qu'il n'existe pas comme "a-priori". Tout juste pourra-t-on tenter de le caractériser à l'usage, et mieux encore au moment du bilan. C'est que le Socialisme français n'existe plus : ses leaders ont cessé de travailler à son contenu, son évolution, son sens. Leurs ouvrages, quand ils en publient, racontent de petites histoires, à défaut de faire la grande. Et ressassent, dès qu'ils passent à l'explication de leur engagement, mots vides et formules creuses. Le seul à s'essayer à un semblant d'analyse, Jean-Christophe Cambadélis, a depuis longtemps troqué le débat théorique pour la mise en scène des rapports de force, confondant la bataille avec les raisons de la mener.
Aussi, au total, faut-il se rendre à cette évidence : le "Hollandisme" est d'abord un pragmatisme, bordé, plus que guidé ou inspiré, par des valeurs.
Son ambition n'est pas de transformer la société au nom de principes, réfléchis en fonction du contexte économique et social, et dont la mise en œuvre politique aurait été discutée et testée. Elle est de "faire au mieux" en s'efforçant d'épargner les plus fragiles et les plus humbles. Il s'agit moins d'offrir une solution aux problèmes soulevés par la double crise financière ou climatique que d'en atténuer les effets.
S'il y a belle lurette que les élites françaises n'ont plus de projet pour la France, il y a fort longtemps que les dirigeants socialistes n'ont plus de vision de la société à construire. On ne leur reprochera certes pas d'avoir rompu avec l'approche messianique qui fit d'une grande idée une réalité totalitaire. Et cette histoire-là ne doit jamais être perdue de vue. Mais elle ne peut justifier l'abandon de toute tentative de conceptualisation d'une politique qui doit tout de même affronter des défis aussi lourds que la survie de la planète ou du système économique dominant depuis deux siècles.
Au total, l'alternance droite/gauche est celle d'équipes inspirées par un esprit de concurrence réciproque et dont les différences relèvent plus de l'état d'esprit que du fond. Deux groupes préparés au pouvoir se le disputent sans aménité mais sans offrir de véritables alternatives, comme si le temps de celles-ci était passé.
C'est en quelque sorte une nouvelle fin de l'histoire que chacun nous joue tour à tour. De là, ne faut-il guère s'étonner que sa mise en scène reste pauvre et sans grande inspiration.
Le "Hollandisme" a au moins ce mérite d'accepter les responsabilités. Cet avantage, aussi, de le faire avec une humilité qui avait fait jusque là défaut. Et de connaître parfaitement les arcanes d'une politique française qu'il n'envisage en revanche nullement de révolutionner. Aussi n'y aura-t-il pas plus à écrire à son sujet que sa chronique quotidienne, qui sera celle d'un succès ou d'un échec à remettre l'économie sur ses rails...