Comme toujours lorsqu'il s'agit de l'Islam, le débat, à peine ouvert, tourne à la confrontation, de préférence d'ailleurs entre non-musulmans, ce qui d'ailleurs en dit long. Il serait temps pourtant de se libérer de cette sorte de "burqa républicaine" qui consiste à se cacher intégralement la réalité : l'Islam fait partie intégrante (sinon intégrée) de notre société... ceci d'ailleurs depuis 1830 et la conquête de l'Algérie. La République en 1958 ne comptait-elle pas 10 millions de citoyens musulmans...? Cette longue histoire partagée ne semble cependant n'avoir guère laissé de traces comme s'il s'agissait d'une question entièrement nouvelle. La raison en est simple mais délicate : tout le problème vient en effet aujourd'hui du fait que notre "connaissance" de l'Islam est restée liée à ses origines, à savoir la colonisation. C'est le souvenir de celle-ci qui nourrit, à l'évidence, la mauvaise conscience des uns comme la mauvaise volonté des autres. Et les rapports qui viennent d'être rendus publics par Matignon, (comme les commentaires passionnés qu'ils ont aussitôt suscités) en témoignent à l'envie.
Leurs auteurs proposent une démarche inclusive. S'il s'agit de mieux prendre en compte une histoire, une culture qui font déjà de facto parties des nôtres, il n'y a rien là de choquant. Mais avant de dire "qui" peut s'inclure et comment, ne faudrait-il pas dire "à quoi" ? Si la France dans ses profondeurs, comme parmi certaines de ses élites, se montre en effet si réticente n'est-ce pas d'abord et surtout parce qu'elle doute d'elle-même et tend à confondre du coup inclusion et....dilution ? C'est en cela que les auteurs des rapports se trompent et auraient dû commencer par définir et rappeler ce que sont les fondements de la nation républicaine, aujourd'hui si enfouis qu'une campagne archéologique s'impose.
Dès lors, la réalité est que notre vieille nation, dans son ensemble en panne de confiance, se sent aussi fragile que nos concitoyens musulmans, en manque de reconnaissance. Comment parler d'intégration ou d'inclusion, au fond peu importe le terme, à un peuple qui ne sait plus lui-même ce qu'il est ?
Ah, allez-vous me dire, voici revenue la question de l'identité nationale! Mais certes, non ! Une nation ne se définit pas à un moment donné, une fois pour toute. Elle ne cesse au contraire de s'enrichir d'événements et d'apports nouveaux, comme la France avec l'immigration depuis près d'un demi-siècle. Et si elle n'échappe pas au passé, c'est pour en faire une sorte de matière première de son destin. Du coup, ce qui fait une nation c'est le projet dont l'histoire n'est que le creuset. Échapper à la question de l'identité passe donc par la formulation d'un projet collectif commun à tous les Français, sans distinction d'origine !
Comment s'y prendre ? Eh bien, en repartant du cœur des choses !
Une nation se définit d'abord de l'intérieur ? Alors, c'est en France par le legs de la Révolution qu'est l'égalité et celui de la République qu'est la laïcité. Reconnaitre les défaillances de notre modèle social pour retrouver une volonté transformatrice qui place l'objectif d'égalité au centre de nos politiques éducative et fiscale, l'école et l'impôt étant les symboles de la communauté républicaine, voilà qui redonnerait sens à un projet national. Mais la nation se définit aussi vis-à-vis de l'extérieur : à cette échelle, elle ne peut avoir d'autre ambition que de ne pas se laisser dicter son destin. Et c'est à cette aune que le projet européen trouve sa légitimité, en contribuant à donner aux pays membres les moyens d'assurer une indépendance et une action que chacun serait incapable de garantir seul. L'Europe ne peut plus se résumer seulement à des procédures et des règles sauf à provoquer la résistance puis la rébellion des peuples qui ne voudront pas laisser marchander leur destin. Faire de l'ambition européenne une partie prenante de notre projet national suppose de retrouver la volonté de faire exister l'Europe en tant qu'entité politique dans le champ international. Et donc de sortir des compromis de boutique pour affronter le défi que nous lance légitimement le reste du monde.
Dans une telle perspective, visant à rendre à notre peuple la pleine conscience de ce qu'il peut et veut, la question de l'inclusion de l'Islam prendrait une dimension nouvelle : il n'apparaîtrait plus comme un risque venant accroître les fragilités d'une nation à la recherche d'elle -même mais comme une potentialité supplémentaire. À l'intérieur en permettant une réactualisation des principes de la laïcité qui doivent s'entendre comme la garantie donnée à chacun de pouvoir choisir et pratiquer librement sa foi pour autant qu'elle ne mette pas en cause la liberté des autres. A l'extérieur, comme une attention renouvelée portée à l'Europe mais aussi à la vocation méditerranéenne et africaine de la France.
Du coup, comment ne pas voir dans la naïveté des uns, la mauvaise foi des autres, rien d'autre que leur incapacité à penser la France d'aujourd'hui, comme s'il s'agissait d'une non-question alors qu'elle commande la solution à beaucoup d'autres ? J'ai été frappé, à cet égard, que le schéma de réflexion que nous a propose le nouveau Commissariat à la prospective ne comporte aucun item consacré à la place de la France dans le monde, comme si cette question ne faisait plus sens une fois l'intégration européenne en voie de se réaliser. C'est répéter une erreur symétrique à celle qui consistait voici un siècle à confondre patriotisme et nationalisme, avec les dégâts que l'on sait. Il est plus que temps de reprendre la nation au sérieux si l'on ne veut pas lui laisser développer des pathologies redoutables dont la propagation érodera un peu plus les valeurs auxquels, en tant que Français et Républicains, nous restons attachés.