Monsieur le Président,
Monsieur le ministre, mes chers collègues,
S'il est un sujet sur lequel il nous est interdit de biaiser, c'est bien celui de la réalité de la situation économique et sociale de notre Pays.
La gravité de la crise nous impose en quelque sorte un devoir de sincérité et de vérité.
Ce devoir de vérité m'amène d'abord à reconnaître combien ce gouvernement, à la différence de celui qui l'a précédé, a montré de courage en engageant une vigoureuse politique de redressement rendue nécessaire par l'accroissement sans précédent de notre endettement.
Mais c'est aussi ce devoir de vérité qui m'oblige à ajouter que le budget qui nous est présenté n'est pas à la hauteur des enjeux puisqu'il ne permettra pas de soutenir la reprise de l'activité et de l'emploi, que chacun, du moins officiellement, appelle ici de ses vœux.
La vérité est que ce budget aura au contraire un impact récessif sur le PIB de l'ordre de 0,7 points. Ce qui revient à dire que notre politique budgétaire si elle poursuit sur cette pente freinera l'an prochain encore la croissance pourtant promise et espérée. Et ceci alors même que nous n'aurons pas réussi à retrouver avant la fin de cet exercice le niveau de richesse qui était le notre... en 2008 !
Du coup, si l'orientation que vous avez choisie, et que j'ai soutenue comme beaucoup sur ces bancs, pouvait se comprendre au lendemain de l'élection présidentielle, elle a perdu aujourd'hui, faute d'initiative européenne et de résultats, une partie de ses justifications.
Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que la zone Euro est en panne alors que partout ailleurs la reprise s'est frayée un chemin ? Ses perspectives de croissance sont inférieures de près d'un tiers pour 2014 à celles de l'ensemble OCDE à comparer avec les prévisions relatives à la croissance mondiale qui devrait, elle, progresser l'année prochaine de plus de 3 points !
Dès lors, la vérité, cette vérité que j'évoquais tout à l'heure comme le seul axiome possible pour conserver la confiance si nécessaire de nos concitoyens, c'est que nous nous infligeons curieusement "une double peine" : celle liée, tout d'abord, à la crise financière de 2008 bien sûr, mais aussi celle, ensuite, issue de la récession que les gouvernements européens ont eux-mêmes provoquée en enclenchant trop tôt, fin 2010, c'est à dire à contretemps, une politique de restrictions budgétaires qui a étouffé les signes visibles de reprise qui se manifestaient alors ! C'est cette réalité que révèle sans contestation possible l'analyse des effets sur l'activité des politiques budgétaires conduites sur les 5 dernières années : ceux-ci ont été négatifs sur la période MALGRÉ l'effort de stimulation du début de cycle !
Oui, la vérité oblige à dire que la purge budgétaire mal calibrée que la zone Euro s'inflige depuis 4 ans a été à l'origine d'une seconde récession dont nous ne sommes pas prêts de sortir si nous poursuivons dans la même direction !
Il ne s'agit donc pas de changer de cap mais de passer à une nouvelle étape en tirant les leçons évidentes de la politique suivie en vain depuis 5 ans et accentuée depuis 18 mois !
C'est pourquoi ce Budget devrait comporter les outils nécessaires à la relance de l'activité économique !
Or, de quoi aujourd'hui une reprise substantielle peut-elle venir ? De la consommation des ménages ? Le pouvoir d'achat est en berne et l'augmentation annoncée de la TVA ne va pas contribuer à le soutenir ! De nos entreprises ? Mais celles-ci, comme nos banques, n'ont d'autre priorité que de se désendetter ! A preuve, les injections de liquidité auxquelles a procédé la BCE dont le taux directeur est particulièrement bas n'ont eu, ces derniers mois, aucun effet sensible ni sur le crédit ni sur l'investissement privé.
La seule option qui nous reste réside par conséquent dans l'investissement public ! C'est à dire dans une dépense qui mette face à la dette des créations d'actifs et du coup ne contribue pas à déstabiliser nos comptes d'un point de vue patrimonial !
Le choix n'est donc pas comme je l'ai entendu entre la facilité et la fatalité ! La remise en ordre de nos finances publiques doit rester notre priorité ! Cela ne fait aucun doute. Mais l'erreur que vous commettez, et qu'il est de mon devoir de signaler, n'est pas de poursuivre dans l'effort de rigueur qui va vous conduire à réduire les dépenses de fonctionnement de nos Administrations ! Votre erreur est de ne pas compléter cet effort d'un soutien massif au développement de nos équipements, de nos infrastructures, de la recherche et de l'innovation, bref de tout ce qui commande l'avenir de notre pays.
Vous me rétorquerez qu'au pessimisme de mon discours répondent déjà des perspectives de croissance plus favorables pour 2014 ! Soit ! Mais que nous laissent espérer les prévisions de l'OCDE, du FMI ou de l'UE ? Une croissance comprise entre 0,7 pour la France et 1,2% pour la zone Euro à un niveau, par conséquent, dans le meilleur des cas, bien insuffisant pour faire reculer le chômage autrement que par des emplois aidés.
Après 3 ans de quasi-récession continue, à quoi en effet assistons-nous sinon à l'affaissement de l'armature économique que représentent des milliers de PME, sous-traitantes ou innovantes, moins tournées qu'ailleurs vers l'exportation et du coup dépendant pour leur avenir de notre marché intérieur ?
La vérité oblige à dire que nombre de ces entreprises ne pourront pas, sans relance, passer les mois qui viennent.
Du coup, le taux de croissance que vous leur laissez entrevoir sonne pour elles comme une condamnation !
Cette situation est d'autant plus grave qu'elle vient après 10 ans de recul de nos emplois industriels, comme l'a montré le rapport Gallois ! Renoncer, du coup, à une croissance plus forte, revient à renoncer à notre avenir industriel. Mais revient aussi à mettre en péril la cohésion de notre société qui n'en peut plus du chômage. Si celui-ci n'était que conjoncturel, une sorte de mauvais moment à passer, la patience pourrait être de mise. Mais sa poussée s'effectue sur un terrain déjà labouré par la précarité, le chômage de longue durée et ceci depuis 20 longues années. Durant cette période, la demande d'emploi dans notre pays n'est jamais descendue en dessous des 8%. Ce drame d'un chômage durable, nous le connaissons d'autant mieux que même la croissance exceptionnelle de 99/2000 n'avait pas réussi à véritablement l'entamer.
Renoncer à un budget offensif, c'est donc accepter la consolidation dans l'inactivité et la détresse sociale d'un plus grand nombre encore des actifs de ce pays, avec le cortège d'injustices, de désordres et d'inégalités que cela signifie ! Que dirons-nous aux élus, aux salariés, aux habitants de ces territoires fragilisés, de ses entreprises menacées que nous ne leur ayons déjà dit dans les années 90, puis dans les années 2000, et depuis le début de cette décennie ? Est-ce la vocation de la gauche que d'agir ainsi ?
Mais, me direz-vous, si tout cela est exact, il n'y a cependant pas "d'autre politique possible". La situation de nos finances, insuffisamment rétablie, ne nous permet aucun écart, aucun relâchement.
Mais qui vous parle de céder à une telle "facilité" ? Entre celle-ci, qui consisterait à ouvrir toutes grandes les vannes de la dépense, et la "fatalité" à laquelle vous prétendez vous soumettre, il existe un passage qu'il est plus que dommageable de ne pas vouloir emprunter !
S'il nous est en effet impossible de renoncer à la rigueur pour tout ce qui concerne le fonctionnement de l'Etat comme de nos collectivités, s'il ne saurait être question d'augmenter leurs prestations ou interventions, pourquoi ne pas en revanche profiter des taux bas que l'on doit à votre politique pour injecter dans notre économie les 20 à 30 milliards d'investissements publics, dans le ferroviaire, les canaux, les réseaux d'électricité, les laboratoires, qui permettraient de donner un coup de fouet et à l'activité et à notre compétitivité ? Et qui, se répandant de proche en proche, débloquerait l'économie tout entière !
Pourquoi ne pas l'exiger certes d'abord de nos partenaires ? N'est-ce pas d'ailleurs sur ce programme que nous avons été élus ? Et n'est-ce pas le simple bon sens que de demander à l'Allemagne dont les excédents se nourrissent des déficits des autres, que l'effort de rééquilibrage soit mieux partagé ? N'est-ce pas le sens des observations que la Commission vient d'adresser à notre grand voisin ? Et comment nier cette évidence qu'une reprise durable ne pourra par définition venir de la généralisation des politiques de déflation exigées de tous les pays européens ?
Me répondrez-vous que la France n'a pas les moyens d'obtenir une telle inflexion que je vous demanderai alors à quoi rime une Union dépourvue de solidarité et ce que signifie pour notre grand pays de se lier les mains dans un ensemble où sa voix ne compterait plus ?
On ne gagne par définition que les combats que l'on engage et je ne vois pas pourquoi il nous faudrait renoncer "a priori " à celui-ci qui touche à nos intérêts économiques et sociaux les plus vitaux !
Mais à supposer que notre détermination ne reçoive pas l'accueil souhaité, qui pourrait ensuite nous reprocher de la concrétiser alors à l'échelle nationale si elle devait se traduire par la poursuite de réformes structurelles en parallèle à une relance par l'investissement ? Ne sommes-nous pas en état de nécessité ?
Oui, au delà de la question d'une relance adaptée aux besoins de nos économies, c'est bien la question du rôle que nous entendons jour en Europe qui est posée. En débattre me semblerait légitime au regard des enjeux qui sont rien moins que notre avenir industriel et plus encore l'avenir de l'Union dont il est vain de penser qu'elle pourra se maintenir en violentant les opinions et les peuples.
Je regrette que ce débat n'ait pourtant pas été possible au sein d'une majorité, par ailleurs diverse.
Parce que je reste fidèle à cette majorité, je ne voterai pas contre ce budget.
Mais parce que j'entends aussi rester fidèle à une certaine exigence de lucidité, je ne pourrai l'approuver !
Je m'abstiendrai donc, non sans regretter l'orientation choisie dont le prix sera pour le pays d'abord, pour notre majorité ensuite, bien lourd à payer !