Voilà près de 20 ans que s'est amorcé le processus qui culmine aujourd'hui : la gauche s'est peu à peu coupée du peuple, c'est à dire des catégories les plus modestes, sinon les plus fragiles de la société. Celles qui ne rêvent pas de performance, ni de devenir milliardaires, mais qui n'aspirent qu'à construire leur vie, autour de leurs enfants et des réseaux de convivialité que le temps a tressé autour d'eux, à partir de leur travail et de sa (plus ou moins juste) rémunération.
À confondre la société avec ses élites, on oublie que celle-ci n'est pas faite que d'innovateurs ou d'entrepreneurs, de communicants ou de "traders". Sa base reste constituée par celles et ceux pour qui l'effort, le mérite, une lente ascension sociale demeurent l'horizon d'un destin que ne borne pas le goût du succès à tout prix.
Les premiers se sont ainsi désolidarisés des autres jouant dans une cour ouverte sur le monde mais étanche aux catégories qui n'ont pas fait de la compétition internationale, et ses rémunérations extravagantes, leur champ de manœuvre. Même s'ils sont appelés à en subir, dans leur emploi et leurs revenus, les conséquences.
Nos prétendues élites du coup ne cherchent plus à entraîner la société et à lui servir d'exemples. La référence nationale ne les guide plus et ce n'est pas à l'ouvrier qu'ils comparent leur salaire mirobolant mais à leur alter-ego du marché mondial.
Ce processus social est en train de se reproduire sur le terrain politique. La gauche de gouvernement ne cherche plus ainsi à organiser la société française, en en garantissant la cohésion, aux enjeux d'aujourd'hui. Mais à l'adapter à toute force sans considération de ses spécificités, de ses valeurs et du coup de ses résistances. Ainsi la tentation qui l'habite de disqualifier celles-ci en les laissant s'exprimer via l'extrême-droite présentée comme l'ennemie principale... bien qu'elle recueille l'essentiel désormais des voix ouvrières comme celles des employés. Cela s'appelle "jeter le bébé avec l'eau du bain"...
On ne peut traiter un peuple comme une masse salariale, ni les citoyens comme une main d'œuvre à adapter. Les uns comme les autres portent une histoire, une mémoire qui les réunit et que les cyniques exploitent faute pour leurs représentants légitimes d'en avoir donné une vision à la fois neuve et fidèle.
Juilliard, dans le Monde, a du coup raison de dénoncer une rupture à travers la réalisation rampante, non avouée, de la stratégie suggérée voici trois par Terra Nova visant à faire de la gauche non plus l'avocate des humbles mais le nœud d'une coalition réunissant les minorités éclairées autour de la lutte contre les discriminations et la défense des droits de l'homme.
Ce mouvement à l'évidence amorcé doit être stoppé net. Le temps passant, il sera en effet de plus en plus difficile à corriger. Déjà l'on ne peut être que frappé sur le terrain par la violence du rejet que suscitent les socialistes parmi une partie de la population qui leur était jusqu'alors acquise. Le sentiment de trahison a pris une ampleur qui en fait plus qu'un mouvement d'humeur contrairement à ce que semble croire le Président de la République qui voit dans l'opinion une variable manipulable à souhait.
Ce mouvement contredit tout ce que nous sommes : s'il ne saurait être question selon moi de sacrifier l'intérêt du pays à celui d'un parti (et de ce point de vue nombre de vraies réformes sont incontournables), il n'est pas non plus envisageable de sacrifier une culture politique, un projet historique sur l'autel du cynisme et de l'opportunisme.
À cet égard, ces dernières années, de l'affaire Strauss-Khan à l'affaire Cahuzac, (après d'autres abandons ou manquements à la morale élémentaire sur laquelle la gauche s'était bâtie) ressemblent à une vraie descente aux enfers.
C'est par paresse ou lâcheté que certains peuvent aujourd'hui considérer que gouverner signifie rompre avec le peuple. Je n'imagine pas une seconde que la gauche puisse encore être la gauche si elle renonce à sa vocation de représenter les plus humbles et les plus modestes.
C'est d'ailleurs, en incidente, la raison pour laquelle, malgré tant de divergences persistantes, que j'envisage de me rapprocher de la gauche du parti. Parce qu'elle représente aujourd'hui la seule manière de s'opposer à une dérive que tous les autres ont renoncé à combattre. Adepte de la synthèse jaurésienne, puis mitterrandienne, je persiste à penser que le changement n'est pas exempt de fidélité et que la réforme n'est pas synonyme de rupture avec le passé. Ce qui signifie que je crois toujours à la possibilité d'une gauche moderne et populaire. Haro sur ceux qui y ont trop facilement renoncé...
La gauche sans le peuple?je me demande à quoi cela peut bien ressembler.
Le partie communiste britannique des années 1970 , avec 1 pour cent d'électeurs prétendait bien représenter la classe ouvrière !alors avec un peu de culot vous pouvez essayer mais vous ne ferait pas illusion bien longtemps la coquille sera vide.
Et oui les ouvriers et employés ne votent plus pour vous: honte à vous!malgré toutes les mises en garde vous avez laisser faire, vous avez perdu votre électorat naturel qui avait confiance en vous .
Certains ont senti le vent du boulet , il vont essayer de se refaire une virginité socialiste : il est trop tard le mal est fait.
Il vous sera toujours possible de faire graver sur votre cheminée comme le Kaiser "je n'ai pas voulu cela"
girard
Rédigé par : rene girard | 13 avril 2015 à 20:43