Le 16/07/2015
Réveillons-nous d'un vieux rêve : nous savons depuis dimanche que le projet européen qui fonde notre engagement dans l'Union est en charpie.
Le pire a certes été évité. L'expulsion de la Grèce de la zone Euro aurait non seulement signé le triomphe d'une ligne politique sur une autre mais ouvert une boîte de Pandore aux conséquences redoutables.
Pour autant, l'accord trouvé signe la défaite politique d'une certaine vision de l'Europe, incarnée jusque là par la France et partagée bon an mal an par notre voisin allemand.
C'est en effet d'abord l'échec de la logique communautaire au profit du rapport de forces intergouvernemental. La Commission, réduite aux utilités, n'a ainsi joué aucun vrai rôle dans l'élaboration de l'accord. Voici près de dix ans que les États, dont la France, ne cessent de l'affaiblir se privant ainsi du seul partenaire capable de faire entendre la voix de l'intérêt collectif quand s'expriment, comme ce week-end, les égoïsmes. La nature du débat européen en est changé et même altéré.
C'est ensuite l'abandon (à peu près irréversible) d'une vision offensive de la politique économique en Europe au profit d'une approche idéologique et comptable qui n'est pas sans rappeler avec son prurit l'aveuglement des défenseurs de l'étalon-or au cœur de la grande crise. L'occasion était belle pourtant d'amorcer une sortie de crise par la relance de l'investissement en choisissant, par exemple, de convertir une partie de la dette grecque en certificats d'investissements. Le choix opéré condamne la zone Euro à la stagnation et la Grèce à une nouvelle faillite. Mais il confirme surtout une orientation en tous points contraires à celle défendue par la France depuis 2012. Sans parler des dispositions de l'accord inspirées par la logorrhée libérale la plus épaisse et qui obligent la Grèce à modifier sa législation sur le travail du dimanche, les licenciements voire, c'est un comble, les soldes...?
C'est également la fin d'une conception plutôt consensuelle des rapports entre les Institutions européennes et le fonctionnement démocratique des États membres. Comment ne pas voir qu'il a été mis brutalement un terme à la cohabitation de deux légitimités, celle issue des traités et celle tirée du suffrage universel national, au profit de la première, ce qui ne peut été compris par tout démocrate que comme un formidable recul !
C'est donc enfin, et c'est le plus grave, la victoire, à défaut du triomphe, d'une ligne sur une autre. L'Allemagne, pour la première fois sur un dossier aussi lourd, n'a pas hésité à engager une épreuve de forces quitte à mettre la France de côté. Celle-ci s'est du coup trouvée contrainte d'aider à conclure un accord dont le contenu lui répugnait (je veux le croire) pour l'essentiel. Le constat s'impose: notre marge de manœuvre s'est à ce point réduite que nous n'avons pu agir que sur la forme et pratiquement pas sur le fond. Berlin nous a ainsi clairement fait savoir que l'Allemagne était prête à l'affrontement si son point de vue n'était pas partagé par Paris, ce qui constitue l'amorce d'un changement historique et pose la question dans ces conditions de l'avenir de la construction européenne, c'est à dire par conséquence du couple franco-allemand.
Voilà en effet trois ans que nous consentons à sacrifier nos emplois et une partie de notre industrie pour complaire aux exigences financières de notre partenaire. Et nous voici maintenant amené à coopérer à l'écrasement d'un État et à accepter, ce qui est une première, que la souveraineté d'un pays du premier cercle (l'Euro) puisse être violentée. On est en droit de se demander ce que sera la prochaine étape ? Serons-nous contraints par une majorité d'Etats du nord conduite par Berlin de réviser un budget jugé par eux inadapté, d'abandonner un secteur de notre économie ou encore d'assumer un accord international qui ne correspondrait pas à nos intérêts ? C'est une autre Europe que celle que nous avons voulue qui se mettrait alors en place dont la "négociation" de ce week-end constitue, soyons lucide, les prémisses.
C'est pour dénoncer cette dérive, qui nous éloigne de l'ambition d'une Europe démocratique, sociale et indépendante, que je ne voterai pas cet après-midi l'accord conclu avec la Grèce. Pour en appeler aussi à un nécessaire sursaut : le projet européen ne peut signifier pour notre Pays cette "descente aux enfers" vers une économie gouvernée par la conception allemande, l'inexistence d'une vraie coopération politique et, last but not least, l'absence de tout esprit de Défense.
L'urgence est sans doute aujourd'hui pour le Président de la République de remettre les choses à plat avec la Chancelière en proposant une consolidation et une démocratisation de la gouvernance de la zone Euro dont les termes sont désormais connus : renforcement de la présidence de l'euro-groupe confiée à un chef d'Etat ou de gouvernement, création d'un Parlement de l'Euro et abondement d'un fonds d'intervention destinée à rééquilibrer les rythmes de croissance des uns et des autres. Sans une telle réforme-dont il n'est pas sur qu'elle soit encore possible- qui nous ramènerait aux fondamentaux du projet européen, c'est le sens de l'engagement de la France qui devra être remis en débat. Contrairement à ce que prétendent médias et dirigeants économiques " éclairés", la France à déjà beaucoup sacrifié de ses intérêts ( industriels notamment) et de ses ambitions pour rester fidèles à la règle européenne. Mais c'était parce qu'elle considérait pouvoir influencer celle-ci d'une manière qui garantisse un équilibre équitable. C'est cet équilibre qui a été rompu ce dimanche.
Est-il encore possible de le rétablir ? L'attitude du gouvernement nous renseignera sur ce point. Mais s'il y renonçait ou cherchait juste à sauver les apparences, comme en 2012, alors tous les Européens sincères pour lesquels les progrès de l'Union ne sont pas synonymes d'affaiblissement de notre patrie, seraient amenés à reconsidérer leur attitude.
Il serait temps, en tout cas, de bien vouloir se rendre compte que notre rêve européen a vécu : l'Allemagne n'est plus le partenaire obligé d'une construction toujours plus approfondie fondée sur la recherche d'un intérêt commun, mais une puissance, européenne certes, d'abord préoccupée de ses intérêts et des enjeux de sa politique intérieure.
Ce n'est pas à cette Europe là que nous avons adhérée !
Aussi devons-nous sortir des illusions de l'Europe consensuelle d'hier pour faire un retour à la réalité,devenue concurrentielle, et porter dans ce débat une vison précisée et clarifiée qui récuse d'aller plus loin dans la voie de l'intégration tant que n'aurons pas été obtenus des engagements sur l'objet de ce nouvel effort, à savoir le rééquilibrage de nos économies, le rapprochement des rythmes de croissance, l'élaboration d'une stratégie industrielle.
Mais c'est plus largement tout ce que nous attendons désormais de l'Europe qui doit être passé en revue. Il n'est plus possible de considérer, comme nous l'avons fait hier, que tout ce qui signifie plus d'Europe est nécessairement une bonne chose en soi. Nous n'en sommes plus là. Nous devons donc ré-interroger le sens, les objectifs et les modalités de la construction européenne en insistant sur ce point que la crise de celle-ci est inséparable du malaise démocratique qui s'exprime à l'intérieur de chaque état membre.