La décision du peuple britannique de mettre un terme à sa participation à l'aventure européenne a déclenché une vague de réactions, médiatiques et politiques, destinées à dramatiser une situation qui mérite au contraire d'être examinée sereinement.
D'abord, parce que si l'on donne, et c'est bien le moins, le droit à un peuple de son prononcer sur son avenir, il semble curieux de lui en reprocher le résultat. La souveraineté démocratique n'a pas été bannie du registre européen, et il faut s'en réjouir par principe même si nombre d'experts volubiles s'en désolent curieusement aujourd'hui.
Ensuite, parce que les conséquences du Brexit ne sont pas celles que l'on veut nous faire croire.
Il eut certes été préférable de s'en passer, les sujets de tension étant déjà suffisamment nombreux. Et l'on peut légitimement redouter qu'il ouvre une phase d'interrogations dont plusieurs pays ont déjà donné des signes.
Mais rien ne nous oblige, comme l'ont curieusement demandé ce week-end les ministres des Affaires étrangères des six pays fondateurs, à vouloir accélérer la procédure de sortie alors que l'article 50 du traité laisse, pour y procéder, un délai convenable de deux ans qu'il conviendrait au contraire de mette à profit pour gérer intelligemment toutes les conséquences du départ du Royaume-Uni.
D'autant que celles-ci seront en réalité plus délicates pour nos amis d'outre-Manche que pour notre Union avec laquelle elle avait déjà largement pris ses distances. Toute précipitation ne ferait qu'accentuer les risques d'implosion du Royaume et la tentation de l'Ecosse de regagner à son tour et à sa manière sa propre indépendance.
L'urgence me semble du coup ... de prendre son temps pour évaluer avec précision les effets produits par le vote britannique et chercher des réponses qui ne devraient pas se résumer à une fuite en avant inspirée par cette thèse désormais obsolète selon laquelle "ce sont les crises qui font avancer l'Union." Prendre la responsabilité de proposer aujourd'hui, dans une sorte de transe, un renforcement de l'intégration ne pourrait qu'ajouter à la rupture avec le Royaume-Uni une fracture plus profonde encore avec des peuples de plus en plus rétifs.
C'est certainement regrettable au vu des avancées accomplies avec le marché unique, l'euro et l'Union bancaire dont la réussite dépend d'une coordination beaucoup plus poussée des politiques économiques et budgétaires. Mais vingt ans sont passés depuis que les principales décisions ont été prises sans que jamais aucun progrès n'ait été enregistré dans ces domaines.
La brusque agitation de gouvernements, à commencer par le nôtre qui, depuis quatre ans, faisait la sourde oreille à tous les appels à une relance, n'est pas pour rassurer.
La France a, en 2012, tout après l'élection de François Hollande, laissé passer le moment. Ce n'est pas faute, avec d'autres, de l'avoir fait remarquer alors (cf ce même blog ; voir de l'avoir même écrit au président de la République).
Mais quatre ans plus tard, la perte de confiance est telle que toute initiative qui, en dehors des peuples et des Parlements, commencerait par suggérer un renforcement des mécanismes intégrés serait inévitablement rejetée par l'opinion.
C'est bien celle-ci qu'il faut aujourd'hui d'abord reconquérir, sans laquelle l'Union est vouée à l'enlisement.
Or, deux conditions restent à réunir pour y parvenir :
La première porte sur les ambitions de l'Union et sa capacité à les accorder aux attentes des peuples. Pour la France et toute l'Europe du sud, il s'agit "naturellement" (parce que cet objectif est restée au second plan) de l'emploi, ce qui implique l'abandon des politiques absurdes d'austérité.
La seconde concerne notre capacité à démocratiser les procédures européennes en particulier en y associant plus étroitement les peuples et leurs représentants. A ce stade, le retour à un Parlement européen constitué de représentants des Parlements nationaux, ou, à défaut, la création d'une deuxième chambre composée de ceux-ci, semblerait la bonne option. Elle pourrait s'accompagner d'un partage de l'initiative législative avec le Conseil, les gouvernements ne se voyant en contrepartie reconnaître un droit de veto opposable qu'avec l'appui de leur propre Parlement.
Quelles que soient les solutions retenues, il ne fait à mon sens aucun doute qu'une articulation de politiques volontaristes en faveur de l'emploi et de mécanismes renforcés de participation des citoyens constitue le préalable incontournable à tout nouveau projet d'intégration.
Là encore, il serait plus qu'utile de faire précéder l'action par une véritable réflexion collective.
La formule, lancée par quelques-uns, d'une nouvelle conférence de Messine (conférence qui a préfiguré la création de la Communauté économique européen (CEE), ancêtre de l’UE), va dans ce sens.
Mais le "bougisme" qui affecte le comportement de "dirigeants" obsédés par les mises en scène médiatiques, dans l'intervalle de longues phases d'impéritie, le permettra-t-il ?