Cet après-midi, la Commission des Finances auditionnera Eric Woerth sur le projet de loi d'ouverture à la concurrence des jeux d'argent en ligne. Le texte ne sera débattu en séance qu'à la rentrée.
D'ores-et-déjà, ce projet soulève un grand nombre de questions.
La première est celle de l'opportunité d'une telle ouverture. Le monopole de la Française des jeux et du PMU a certes été contestée par la Commission européenne. Néanmoins, et même si l'UMP répète à l'envi que l'ouverture à la concurrence est obligatoire, le droit européen ne condamne pas, en l'état, le monopole, à la condition qu'il favorise la lutte contre la dépendance aux jeux et vise à prévenir la fraude et le blanchiment. Il s'agit donc d'un choix politique de l'UMP dont les conséquences n'ont manifestement pas été suffisamment étudiées.
La deuxième interrogation est celle des moyens dont l'autorité de régulation prévue par la loi disposera pour faire respecter la loi. Les spécialistes s'accordent pour dire qu'il est impossible d'interdire à un joueur français d'aller jouer à l'étranger. Les opérateurs renchérissent en considérant que la taxation prévue dans la loi est excessive et découragera toute demande d'agrément. Aussi appellent-ils déjà à une baisse très importante des prélèvements fiscaux sur les mises, et sauront probablement trouver une oreille bienveillante sur les bancs de la majorité. Autoriser les jeux d'argent en ligne pour les Français risque de faciliter enfin le blanchiment d'argent : qu'est-ce qui empêchera en effet un joueur de poker de « perdre » une grande somme d'argent contre un ami? Du propre aveu des opérateurs, l'agrément n'a en réalité qu'un seul intérêt : la légalisation de la publicité.
Il y a donc deux hypothèses. Soit les parlementaires refusent d'abaisser le taux de fiscalité envisagé : la loi n'aura alors aucune utilité et tous les sites de paris en ligne continueront à opérer de l'étranger en toute impunité. Soit, sous la pression des opérateurs, les parlementaires diminueront le taux d'imposition : il y aura alors des pertes importantes pour la Française des jeux et le PMU, et la diffusion de campagnes publicitaires des sites de jeux en ligne, qui contribueront automatiquement à augmenter le nombre de joueurs, les risques d'addiction.
Cette seconde hypothèse appelle une troisième question : comment sauver le modèle français de financement du sport ainsi que de la filière équine? Si les grands clubs de football ne feront pas faillite, que deviendront les 223 millions d'euros qui étaient reversés au sport amateur français, et qui permettaient la construction de piscines, de gymnases et autres infrastructures? Le gouvernement a-t-il conscience des conséquences de sa loi, si elle était votée, sur le sport amateur, si nécessaire à la santé publique et au renforcement du lien social? Et que dire des 70 000 emplois menacés dans la filière équine si ce projet était retenu?
Le dernier point, mais non le moindre, concerne la protection des mineurs et la lutte contre les addictions. On estime à 600 000 le nombre de personnes qui souffrent d'addiction au jeu en France. Parmi elles, la part des demandes d'aide de venant des joueurs en ligne a été multipliée par six entre 2005 et 2008. Le mythe de l'argent facile - et à domicile - amplifie le phénomène. Surendettement, divorces, délinquance et suicides accompagnent la dépendance. En la matière, le projet de loi ne sort jamais du catalogue des bonnes intentions, sans proposer un financement concret de l'accompagnement des joueurs concernés, de leurs soins et de la recherche dans ce domaine. Rappelons que nous ne disposons d'aucune étude sérieuse sur les joueurs pathologiques en France, ce qui, encore une fois, montre que ce projet de loi, porté par l'Élysée, et faute d'un travail sérieux en amont, ouvrira la boîte de pandore du jeu d'argent, que la France avait maintenue fermée, avec succès, pendant des années.
Aussi importe-t-il, compte-tenu des faiblesses de ce projet, d'informer et de s'y opposer.
Gaëtan Gorce est responsable du groupe SRC sur ce texte