À l’instar de 2007, deux facteurs semblent déterminants dans les intentions de vote de nos concitoyens. Le premier est en perte de vitesse : c’est la crédibilité attendue des candidats. Décélération d’autant plus surprenante que l’Europe se retrouve confrontée, cela a été dit à de multiples reprises, à l’une des plus grandes crises de son histoire, et que la France est loin d’avoir réglé ses problèmes de dette et, consécutivement, de déficit. On pourrait penser, dans ces conditions, que nos concitoyens auraient à cœur de privilégier les candidats et les programmes faisant appel à la raison, s’appuyant sur la vérité des faits et des chiffres, mettant en avant leur aptitude à construire et à mettre en œuvre des solutions à la fois rigoureuses et innovantes.
À première vue, il n’en est rien. Et c’est le second critère du vote qui semble aujourd’hui s’imposer : le rejet du système. Un rejet nourri lui aussi par la crise, mais cette fois par la peur et les acrimonies qu’elle suscite, un rejet en lien avec la montée de la protestation sociale ou parfois quasi-xénophobe. Un rejet porté par l’attitude, au pire arrogante, au mieux indifférente, d’élites semblant se désintéresser du destin commun.
Ce rejet, il bénéficie naturellement d’abord aux candidats qui en ont fait leur stratégie première. Il semble aujourd’hui tenter le représentant le plus accompli du système lui-même, qui cherche ainsi à se redonner une sorte de virginité politique en contournant et son bilan, et sa place dans les institutions. Il est frappant d’observer que face à cette double détermination les deux candidats de tête semblent suivre aujourd’hui une trajectoire inverse. D’abord défenseur de l’Europe, mettant en avant son amitié avec les puissants, à commencer par Angela Merkel, faisant valoir ses efforts pour sauver l’Euro, Nicolas Sarkozy a aujourd’hui choisi de se débarrasser d’un costume trop bien taillé pour revêtir l’habit du sans-culotte, prêchant la révolte contre tous ceux qui menaceraient sans vergogne notre exception française. Le voilà apôtre des frontières et des contrôles qu’elles exigent ; pourfendeur des riches et des exilés fiscaux ; de nouveau soucieux, malgré sa politique, des ouvriers victimes des délocalisations. Bref, prêt à engager la rupture, comme en 2007, mais cette fois avec son propre bilan. L’opération est plus grossière qu’habile, mais parce qu’elle s’appuie sur des ressorts puissants (la colère qui parcourt le pays) elle produit ses effets lui permettant d’enregistrer pour la première fois une sorte de frémissement dans les sondages (néanmoins largement accentué par une de ces manipulations médiatiques dont certains se sont faits les experts).
Dès lors, c’est le candidat proclamé du changement, incarnation d’un parti resté dans l’opposition depuis 10 ans, qui risque d’être renvoyé à une défense du système dont il se veut pourtant le réformateur. Le choix qu’a fait François Hollande est à la fois celui de l’habileté et de la raison. Il ne s’est jamais trop engagé sur le chemin du redressement pour inquiéter les Français, mais suffisamment pour laisser comprendre que tout ne serait pas possible et qu’une remise en ordre des comptes publics serait inévitable. Parallèlement, il a cherché à orienter le rejet du système si fort dans l’opinion vers un vote anti-Sarkozy capable de fédérer (on le voit bien au second tour) même les contraires.
C’est cette tactique que Nicolas Sarkozy s’efforce désormais de contourner, en se livrant à des excès qui semblent lui convenir comme un gant (un Guéant ?). Quelle peut être le moyen d’y répondre ? Certes pas en minorant la volonté de transformation politique et sociale voulue par François Hollande. Celui-ci aurait aujourd’hui tout intérêt à mettre encore plus l’accent sur la réforme institutionnelle qu’il compte entreprendre et dont la portée symbolique reste lourde : non-cumul des mandats, diminution de la rémunération du Président de la République, etc.
Mais dans le même mouvement, François Hollande aurait sans doute intérêt à accentuer encore sa démonstration de crédibilité. Ce terrain abandonné par le Président sortant mérite à coup sûr d’être exploré. Il serait en effet paradoxal qu’au moment d’un choix majeur, et passé les aléas des premiers mois de campagne, nos concitoyens oublient les enjeux fondamentaux pour l’avenir du pays. À cette aune, les controverses sur la viande halal, Schengen, etc, devraient peser bien peu. Battons-nous pour remettre la campagne sur ses pieds et tous les candidats face à leurs responsabilités ! À cet égard j’observerai que l’important n’est pas, dans une Présidentielle, de participer, contrairement à ce que certains laissent entendre à travers leur chasse aux signatures, mais bien de choisir l’homme ou la femme dont la stature, la clairvoyance et la capacité de rassemblement lui permettront de diriger l’État.