Tout d’abord je remercie Marc LECARPENTIER, le président du Festival de m’avoir proposé de venir ici à la Charité sur Loire. Merci de me faire cet honneur et ainsi d’honorer mon milieu et toutes les familles qui se battent aujourd’hui avec les mots mais aussi avec la force de leur intelligence, la solidarité et l’espoir que les politiques s’attaquent à la violence de la misère ici en France mais aussi dans le monde.
Merci de votre accueil monsieur le maire et monsieur le député et merci aussi à tous ceux, bénévoles de la région qui ont travaillé pour que ces journées soient pour tous riches et joyeuses.
J’ai accepté cette invitation car de fait, le mot, les mots, le poids des mots ont été et restent important dans ma vie.
Il y’a des mots qui t’honorent, te grandissent, t’élèvent et d’autres qui te réduisent, t’anéantissent, te détruisent et c’est avec ces derniers que je me suis forgée.
Je suis née en milieu de pauvreté, j’ai grandi de bidonvilles en cité dortoirs et c’est à l’école que je me suis rendu compte que nous n’étions pas tous les mêmes et que l’on pouvait n’être considéré qu’à partir de sa position sociale. La mienne portait l’étiquette pauvre, je dirais même « mauvais pauvre ».
De ce fait, avec ma famille, avec les familles avec qui nous partagions le quotidien dans ma cité d’urgence, j’ai vécu la relégation, l’humiliation, les séparations, les expulsions, la mise à l’écart, l’isolement, le jugement, le rejet, la honte, la peur, le mépris.
Tous ces mots, chacun de ces mots ont eu des effets sur ma vie, mon histoire. C’est avec chacun de ces mots que j’ai tentée de grandir. Une chose était devenue certaine : Je n’étais pas comme les autres. Ma famille, les familles du quartier, nous n’étions pas traités, considérées comme les autres.
J’avais une totale conscience de cela mais je me sentais impuissante.
Certains parmi nous ont essayé de milles et une façon de casser tous ces préjugés, souvent de manières maladroites, parfois inappropriées, Tous ceux à qui j’en voulais de m’avoir ainsi maltraité avec des mots qui me cassaient ont fini par avoir raison de moi, je me suis pliée aux jugements des autres, j’ai fini par intérioriser ces mots, par croire que ma vie ne valait pas grand-chose, que je ne valais pas grand-chose, que j’étais une idiote, une « pas comme les autres » une « asociale », une inutile, un cas soce, une incapable, une ratée, une pauvre et, Rien qu’une pauvre quoi !
Je me suis résignée me disant que j’étais née du mauvais côté de la barrière, je n’avais pas les codes de l’autre monde.
Je n’avais pas les mots pour dire l’injustice, les mots pour me défendre. Au plus profond de moi, malgré tout, j’ai pu préserver une révolte encore sourde mais je la sentais présente au creux de moi.
C’est à cette période, j’avais 18 ans, que j’ai rencontré MVT ATD Quart Monde, un MVT de lutte contre la misère, fondé par Joseph Wresinski au cœur du bidonville de Noisy le Grand en 1957. Cet homme avait lui-même vécu la grande pauvreté. Par expérience, il savait ce que les familles vivaient. Alors avec les plus pauvres d’entres elles, en partant toujours de ceux qui étaient le plus maltraités par la vie, il a fondé le MVT et il a commencé à se faire connaitre.
Suite à un de ses appels, des jeunes venus de partout, se sont engagés à ses côtés et ont fait le choix de partager la vie, le quotidien des familles les plus pauvres. D’abord dans de nombreuses villes en France et puis plus tard le MVT est devenu mondial. C’est ainsi que j’ai rencontré le MVT, je l’ai vécu comme une véritable chance.
ENFIN on me proposait un défi de taille, un combat, une lutte… AVEC D’AUTRES ! Ce n’était pas quelque chose de personnel, non ! Joseph me proposait un combat pour mon milieu, un combat pour me libérer avec ce MVT.
C’est alors que j’ai osé, parlé, écouté, dénoncé, revendiqué, exprimé, contrôlé, réfléchi, appris à croire que je n’étais pas nulle. Voilà de nouveaux mots qui faisaient leur entrée dans ma vie. Je me suis découverte intelligente (enfin un peu quoi !!), entreprenante, battante et j’ai découvert cette notion de milieu, de mon milieu et combien il était important de ne pas profiter seule de mes découvertes, j’ai ainsi compris que la misère n’est pas fatale, j’ai appris avec ce MVT à découvrir notre intelligence commune, notre solidarité, notre sagesse et à mettre des mots sur tout cela.
J’ai compris combien nous les pauvres étions considérés comme des sous-hommes, que nous n’étions vus qu’au travers de nos manques, manque de logements, de travail, d’hygiène, de ressources avec en plus des « trop », trop de défauts, de vices, de tares, d’addictions, trop violents, trop démissionnaires. J’ai compris que nous étions des hommes debout, que nous avions du courage, une expérience, une endurance, une résistance, une intelligence, un savoir, du bon sens, une espérance.
Tous ces jolis mots que jusque là je ne m’autorisais pas à m’approprier.
Alors que le MVT m’a permis de cheminer au travers de différentes actions, j’ai trouvé mon chemin, ma voie, j’ai épousé ce chemin de militante, j’en ai fait le combat de ma vie et aujourd’hui ce sont les plus pauvres avec qui je suis engagée au travers du monde qui me donnent la force, l’énergie, le sens, le soutient, la tendresse, le pouvoir de vivre ce que j’ai mis si longtemps à gagner la liberté, ma liberté.
C’est avec ce mot que je veux terminer… LIBERTE La liberté de ne plus dépendre de bons vouloirs de l’autre. La liberté de dire et d’être qui je suis vraiment, la liberté d’être fière de mon histoire, de mon milieu, la liberté de mon engagement, la liberté de faire des choix, la liberté d’oser, cette liberté, ces libertés que l’on supprime, que l’on nie trop souvent à celui que l’on considère moins que soi-même.