Je saisis l'occasion du renouvellement d'hier pour publier cette note écrite voici 6 mois et consacrée à une indispensable réforme du Sénat.
Partout, sans doute sous l'effet de la médiatisation et de l'accélération du processus de délibération politique, le bicaméralisme est en crise.
A l'exception peut-être des États fédéraux où sa légitimité va de soi, la deuxième chambre est contestée: trop lente, trop coûteuse, trop conservatrice, trop vieillotte, s'accumulent sur celle-ci reproches et mises en cause polémiques.
Comme au plus fort des tempêtes institutionnelles passées, on semble ne plus pouvoir rappeler l'origine des "chambres hautes" que pour la leur reprocher: dédiées à la représentation de l'aristocratie, de la première Chambre des Lords au 13 ème siècle au temps d'Edouard III au Sénat impérial puis à la chambre des Pairs, elles souffrent tout aussi bien d'un mode de désignation difficile à justifier encore aujourd'hui, malgré les réformes introduites partout en Europe. Quand ce n'est pas le principe même du bicaméralisme qui est remis en question comme en Italie...
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les critiques auxquelles est soumis notre Sénat, qui sut par ailleurs soigner sa "mauvaise réputation" ces dernières années en se portant au premier rang de la lutte contre le cumul des mandats ou la modernisation de notre organisation territoriale.
Réformer notre vénérable institution relève du coup d'une forme d'urgence vitale sur laquelle on ne saurait trop insister. La conviction de l'auteur de cette note est cependant qu'il existe plus d'une bonne raison de conserver une seconde Chambre à la condition de repréciser ses missions et de renouveler son mode de représentation.
I) L'irrésistible déclin du bicamérisme...
A) Le bicamérisme résiste là où il est justifié par la forme même de l'Etat.
Aux États-unis comme en Allemagne, le bicamérisme est fondé sur la nécessité d'assurer la double représentation des intérêts nationaux et des entités fédérés. Il constitue en quelque sorte l'illustration et la garantie du caractère fédéral de l'Etat, le pouvoir de la seconde chambre étant soit équivalent, voire parfois supérieur à celui de la première (Sénat des Etas-Unis), soit limité aux domaines correspondant aux compétences d'états fédérés représentés (le Bundesrat allemand).
Le Sénat ne correspond naturellement pas à ce cas de figure et si la République lui a, depuis Gambetta, confié le soin de représenter les communes de France, la décentralisation opérée au début des années 80 n'est pas allée jusqu'à faire des collectivités territoriales des instances souveraines dans les domaines relevant de leur responsabilité.
B) Le bicamérisme vacille là où ses justifications n'ont pas passé l'épreuve du temps.
A les passer en revue, on observe bien vite que les autres raisons apportées à l'existence d'une seconde chambre résistent de plus en plus mal à l'examen.
Passons sur la volonté initiale de ses concepteurs (sous la troisième République) d'y voir un frein nécessaire aux tentations démagogiques de la souveraineté populaire, qui plus est changeante et incontrôlable, sise au sein de la Chambre des députés... Pareil argument fleure bon une forme d'élitisme qui n'est plus très tendance...
Arrêtons-nous un instant sur l'opportunité que peut offrir le Sénat de permettre une meilleure ou plus large représentation des opinions ou de la société française dans son ensemble.
Or, sa composition ne diffère guère, que ce soit par l'âge, le genre, ou l'origine sociale, de l'Assemblée (l'âge moyen représentatif de la composition du Sénat est de 62 ans contre 59 ans à l'Assemblée Nationale; il y a 22,1% de femmes au sein de la Chambre haute contre 26,9% au sein de la Chambre basse). Et même si une partie de ses membres est élue au scrutin proportionnel, le cadre départemental n'a pas permis de faire émerger au Sénat d'autres partis ou courants d'opinion que ceux peuplant déjà le Palais-Bourbon.
Sa seule spécificité réside dans la présence d'élus rompus à l'exercice des responsabilités locales, ce qui ne saurait suffire à fonder son droit à disposer d'une compétence législative générale. L'émergence d'une nouvelle conception du "conflit d'intérêt" risque même de retourner bientôt cet atout en handicap.
Le dernier argument, qui porte sur la qualité de la loi, n'est guère plus recevable. S'il ne fait aucun doute en effet qu'une double lecture est utile et permet de corriger bien des erreurs matérielles ou juridiques (voire politiques), le processus législatif s'est à ce point accéléré et dégradé que le passage au Sénat ne permet plus à ce dernier de jouer pleinement son rôle.
Ne demeure plus au fond, pour justifier nos travaux, que l'expression d'une forme d'indépendance permettant de faire valoir une vision plus équilibrée ou consensuelle de la loi qui s'étiole cependant au fil des alternances et que le non-cumul risque de réduire à rien en privant les Sénateurs de leur base locale et donc des moyens de leur liberté.
C) Comment ne pas craindre dès lors une remise en question de notre bicamérisme?
Bien qu'inégalitaire (l'Assemblée nationale disposant sauf rare exception du pouvoir de trancher en dernière instance), notre bicamérisme confère au Sénat d'importantes prérogatives, et d'abord celle de voter toutes les lois. La disposition d'un véritable droit de veto constitutionnel n'en est pas l'une des moindres, à quoi il faut ajouter l'examen prioritaire des textes concernant les collectivités locales.
Il est heureux à ce stade que le Conseil constitutionnel en 1992 dans sa décision relative au Traité de Maastricht ait affirmé qu'"en sa qualité d'assemblée parlementaire, le Sénat participe à l'exercice de la souveraineté nationale" rendant sa suppression discutable.
Mais il serait regrettable d'oublier, à travers ce réconfort juridique, le point de vue des Français qui dans leur grande majorité ne verraient pas d'objection à la disparition de notre Haute Assemblée. En effet, d'après un sondage publié par Le Point en janvier 2014, 81,2 % des votants affirment la nécessité de supprimer le Sénat contre 18,8% restants, favorables à notre Assemblée.
II) L'indispensable réforme du Sénat.
Cette réforme, indispensable, doit être pensée en fonction du constat qui vient d'être dressé, mais aussi des missions nouvelles que mieux que l'Assemblée notre Sénat pourrait exercer en réponse aux attentes de renouvellement voire d'innovations démocratiques exprimées par nos concitoyens.
A) Conforter le Sénat dans son rôle de Chambre des Libertés !
A l'instar de ses compétences spécifiques dans le domaine des collectivités locales, le Sénat devrait se voir reconnaître un rôle législatif particulier dans le domaine de la protection des libertés, pour laquelle il a toujours montré une grande implication.
Le Sénat s'est, sur des articles importants, montré bien plus attaché au respect des libertés publiques que l'Assemblée nationale. Par exemple, en ce qui concerne la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure de 2011 (Loppsi 2), tout au long de la "navette" entre les deux Chambres, l'expansion de la vidéosurveillance, l'utilisation des scanners corporels, la comparution immédiate des mineurs délinquants ou les mesures de couvre-feu qui pourraient être imposées, ont fait l'objet de réécritures successives.
Ainsi, en cas de désaccord au terme de la navette sur un texte portant sur l'exercice des libertés individuelles ou des libertés publiques, (c'est-à-dire l'ensemble des droits reconnus et bénéficiant d'une protection juridique) l'Assemblée Nationale n'aurait plus le dernier mot que sous condition de réunir une majorité qualifiée (la majorité absolue des inscrits ou les 2/3 des exprimés).
B) Faire du Sénat " la chambre de l'avenir" !
Le législateur est désormais de plus en plus souvent confronté à des problématiques complexes mettant en jeu des valeurs contradictoires et nécessitant pour être traitées recul et expertise. Il en est ainsi des questions qui concernent le développement du numérique, qui porte sur des enjeux relatifs à la protection de la vie privée, à la fiscalité, l'organisation de nouvelles filières industrielles etc.
Il en va de même des grandes questions de société comme celles touchant à la bio-éthique ou à la fin de vie, qui sortent du cadre habituel des clivages politiques et appellent des réflexions dépassionnées comme des décisions consensuelles.
Ces caractéristiques correspondent bien à celles du Sénat qui, des deux Assemblées, semble la plus à même de répondre à un tel cahier des charges.
Aussi devrait-il se voir reconnaitre un droit particulier d'examen préalable des textes sur les grands enjeux scientifiques, technologiques et numériques, bio-éthiques et de société.
Enfin, pour mieux exercer cette mission nouvelle, 48 des Sénateurs seraient élus par leurs pairs à la majorité des 4/5 ème pour un seul mandat parmi les personnalités scientifiques, universitaires, économiques susceptibles par leur expérience ou leur expertise d'éclairer le travail de la Haute Assemblée.
C) Faire du Sénat le laboratoire d'une démocratie plus participative.
Le Sénat devrait tirer avantage de la position qui est la sienne : n'ayant pas le dernier mot en matière législative, sa procédure pourrait être adaptée pour intégrer des innovations ne remettant pas en cause le principe de représentation tout en le faisant évoluer.
Ainsi, à l'heure du numérique, le Sénat devrait pouvoir associer à l'élaboration ou à la discussion de certains textes (choisis par la Conference des Présidents) des citoyens désireux de participer au travail de réflexion et d'amendement.
Certains sites comme la Coopérative Politique, les Créateurs de Possibles ou encore Démocratie Ouverte ont déjà développé des méthodes de ce type susceptibles de renouveler profondément le point de vue émis sur la loi mais aussi de contribuer à faire partager à nos concitoyens la difficulté et la complexité des choix. Outil participatif et pédagogique, cette démarche, "l'Open Sénat" serait un véritable progrès démocratique.
Dans le même esprit, le Sénat pourrait devenir une Assemblée tournée vers la jeunesse. N'a-t-on pas coutume d'observer que celle-ci se désintéresse de la politique ou que la politique reporte sur les générations à venir le poids des ajustements (en particulier en laissant prospérer une forte dette publique et sociale).
Aussi est-il proposé de constituer en notre sein, une " Assemblée de la jeunesse de France", tirée au sort chaque année parmi les jeunes de 16 à 25 ans et fonctionnant comme une Commission temporaire, saisie en amont de l'examen des textes ayant un impact direct ou indirect sur la situation ou les perspectives de la jeunesse.
D) Conforter enfin le Sénat dans ses missions d'évaluation pour en faire l'auditeur en chef des politiques publiques.
Afin de redonner une place centrale à notre assemblée, le Sénat pourrait-il se concentrer sur l'évaluation des lois en comparant systématiquement les résultats obtenus avec l'étude d'impact.
De même, pourrait-il veiller tout particulièrement à la pertinence et à la permanence des critères de performance contenus dans la Lolf dont il serait opportun de tirer un premier bilan.
Ces missions pourraient être confiées aux Présidents de Commissions ou à des rapporteurs généraux à l'évaluation législative placés auprès d'eux, assistés d'un rapporteur adjoint par texte.
Chaque loi ferait ainsi l'objet d'une appréciation quinquennale.