Mesdames, Messieurs, Chers Amis du Festival du Mot,
Notre Festival du Mot a huit ans. Huit ans : on ne l’a pas vu grandir !
Il faut dire que dès sa première année, il tenait déjà debout. Il marchait même. Et n’a cessé depuis, de croitre et d’embellir, au rythme d’ailleurs des travaux d’aménagement et de mise en valeur du prieuré. Au point que c’est lui bientôt qui prendra soin de nous, un peu comme les enfants doivent le faire avec leurs parents en âge.
Du festival va naître en effet la cité du Mot. Le prieuré en sera le cœur battant : expositions, conférences, spectacles, pour mettre partout le mot en valeur, le mot à l’honneur ! Le mot que l’écrivain polit, le lecteur apprivoise, l’auditeur déguste avec gourmandise. « Les mots savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ». J’aime cette citation de René Char que l’on trouve sur les murs de notre Ville. Les mots nous disent plus que nous les disons. Ce qui vaut pour le poète, vaut aussi pour chacun de nous. Pour autant que nous nous saisissions des mots, que nous surmontions cette crainte justement qu’ils nous échappent et disent ce que nous avions voulu garder par devers nous.
Sans les mots la liberté n’existe pas ! Chacun doit avoir le droit, le pouvoir de choisir SES mots. Ceux qui disent le mieux SA vérité. Notre cité du Mot, lieu de loisir et de plaisir, de recherche et de découverte, devra ainsi être une cité où s’exprime la liberté des mots et donc, la liberté de ceux qui les prononcent. Et d’abord, de celles et de ceux pour lesquels la tâche est la plus difficile. C’est pourquoi les progrès de la cité du mot s’inscrivent dans une politique municipale d’ensemble : gratuité d’accès à la bibliothèque pour les plus jeunes, portage de livres pour ceux qui ne peuvent se déplacer ; soutien à l’apprentissage de la lecture dès le niveau du CP dans nos écoles ; ateliers d’écriture au centre social ; coopération du festival avec le CHS, l’hôpital Henri Dunant, le collège et les associations qui le souhaitent. Le mot est un bac qui mène de la rive du silence à celle de la liberté par la parole. Et c’est ce bac que nous aurons le souci de faire fonctionner, ici aujourd’hui à travers le festival, demain à travers la cité du mot, qui comprendra aussi un centre de formation.
Autant de sujets de satisfaction, qui suffiraient à nous réjouir s’il ne m’appartenait pas de vous annoncer une terrifiante nouvelle dont certains d’entre vous, parmi les plus informés, ont déjà eu vent même s’ils n’en avaient pas l’air…
Notre compagnon de jeu de mots, notre fabriquant agréé de litotes, braconnier des dictionnaires et des syntaxes, trousseur de phrases fraîches et d’atterrantes allitérations, saute-ruisseaux et rimailleur, godelureau railleur et champion du temps de prose, en particulier lorsque c’est ciseleur qu’on sonne ; voyageur en toutes lettres, aiguiseur d’accent aigu, graveur d’accent grave, accentueur circonflexe, raffineur de contexte, simplifieur du complexe, charpentier de syllabes, tailleur de prières, compagnon de doute, notre très cher et (presque) fidèle ami: Vincent Roca n’est plus !
La faculté se perd en conjectures sur les raisons de cette disparition.
De quels mots souffrait-il ? Nul journaliste ne savait qu’il était à l’article de la mort ! Voire même en phrase terminale. Ne serait-ce pas d’ailleurs le comble pour un poète de finir mangé par ses vers.
Peut-être la pression était-elle trop forte et finit-il écrasé par le poids des mots. Ou bien, aura-il lui-même mis fin à ses tours, la magie n’opérant plus. Mis en échec, Vincent Roca ! Ne s’est-il pas tout d’abord et fort injustement fait prendre son Fou du roi ? Saddam, pour laquelle il se serait fait damier a disparu à Bagdad. Dès lors, les pions étaient coupés. Pour cet ancien prof de Mat, la scène est plausible. Même si ses amis prétendent qu’il était difficile de lui faire sortir son échiquier.
Peut-être est-ce pour cela qu’il rêvait d’un portefeuille ! L’explication serait alors celle d’un drame politique. Disparu en voulant passer l’arme à gauche. « Ministre de la langue française », il n’avait que ces mots là à la bouche. Mais bien que désirant plus que tout un maroquin, il refusa l’Immigration. On lui proposa la défense…de la langue française. Mais écrivant ses textes à la main plutôt qu’à la machine à aigrir, il récusait la force de frappe. Le Président ne voulu pas compromettre la sécurité du pays en la confiant à cet eunucléaire. Cela finit de le dissuader et il préféra rendre les armes.
Ou bien l’explication est-elle liée à la période électorale : Roca aurait été victime d’un mot cinglant, d’un mot blessant, de ces blessures dont on ne se remet pas. D’un de ces mots dangereux lancés dans la campagne et que leurs auteurs auraient oublié de ramasser une fois celle-ci terminée. Un de ces mots écrits avec une mauvaise mine, une mine à fragmentation ou une mine personnelle…
Le fin mot de l’histoire serait prétendre d’autre à rechercher du côté des Belles Lettres. Roca aurait péri par là où il a pêché. Un mot lui serait resté en travers de la gorge vengeant du même coup tous ceux qu’il avait jusqu’alors réussi à expectorer et dont il avait fait un usage si choquant. Loin de servir les mots, Vincent Roca s’’était servi d’eux, les martyrisant, les retournant, les modelant, victimes de son humour cruel. Combien de mots sont morts de son fait ? Morts de rire, de Votre rire, livrés au feu roulant de votre hilarité. Combien de mots théâtralement mis en pièce, de mots qu’il promettait de loger dans des palaces mais en réalité laissés sans suite ; des mots citron pressés pour rendre tout leur jus. Mots lestés de trop de sous-entendus. Mots lardés, mots croisés. Tous ces mots en souffrance, passés à la question, livrés à l’empire de ses sens. Victimes de trop de mauvais aïku. Mots arrachés au dictionnaire, pris au pied de la lettre pour être ensuite laissés à eux-mêmes. Mots jumeaux, mots gémeaux, séparés pour être accouplés à d’autres. Mots trahis. Mots détournés du droit chemin. Ainsi du mot « cœur » livré à vos moqueries. Du mot « zèle » jeté au ruisseau. Du mot « tsar » privé de sa musique. Roca cet usurier des mots ne nous aura rien épargné.
Le tort que Roca a fait aux mots, qui justifia la révolte dont il a été victime se mesure à quelques projets qu’on lui prêtait. Ainsi, envisageait-il de réécrire les grandes œuvres de notre patrimoine en les adaptant au numérique. Baudelaire aurait ainsi écrit les Fleurs du Mail ; ainsi aurait-on pu entendre le twitt de Schubert ; le plus beau des romans anglais serait devenu les textos du hurlevent et Cocteau aurait-il dû s’accommoder de la belle et tablette, Thomas Man de la montagne Ma-geek, et Stevenson de la CNIL au trésor… On prétend que l’Académie Française, pour mettre un terme à ses folies l’aurait fait disparaître…
Mais aux dernières nouvelles, Roca ne serait simplement plus… des nôtres d’après les indications dont je dispose plutôt que d’être avec nous il s’exposerait dans un théâtre de la Rive Gauche où son spectacle connaîtrait, ô surprise, un vrai succès. Ce petit marquis que nous avons nous-mêmes anobli s’est mis à son comte. Ce prince sans rire fait à Paris la tournée des grands Ducs. Pourtant le royaume des mots reste ici !
Roca nous a trahis. Ce Mata Harire du calembour nous fait faux-Bond. Lançons ensemble un OSS ! Roca, reviens ! Ta place est ici, d’autant que tu ne peux envisager aucun avenir à l’étranger. Tes jeux de mots sont inexportables. Tes devises ne sont pas convertibles. Et quand bien même la tentation te viendrait, de jouer à Londres ou à Berlin, toi qui fit allemand et anglais deuxième langue, on sait ce que ta langue deux vaut ! « Dites avec moi non à la démocalisation. A nous Motebourg. Protège-nous ! »
Car enfin Vincent être absent n'est pas décent bon sang ! Après 7 festivals, 7 ans de réflexion, certains aiment ton show et ne peuvent admettre que la rivière qui t'a conduit à Paris puisse être sans retour ! Notre festival n'est-il pas une belle famille ? Ne sommes-nous pas heureux de nous retrouver après 12 mois passés à attendre notre nouvelle fête des mots ? Eh bien qu'elle commence donc, avec ou sans Roca ! Et que Monte de La Charité une rumeur si puissante que Vincent en aie l'écho depuis son théâtre. Vive le mot, vive le festival, vive La Charité !