Ne nous voilons pas la face : si elle n'est pas accompagnée d'autres réformes, la loi sur le non-cumul (que je voterai) n'atteindra aucun des objectifs espérés. Elle risque même d'aboutir aux effets exactement contraires à ceux attendus.
Ainsi de la revalorisation du Parlement : rendus plus disponibles députes et sénateurs ne seront plus actifs et présents que pour autant que soient renforcées leurs prérogatives ! Sans une vraie maîtrise de l'ordre du jour, l'attribution de moyens d'expertise indépendants, la modernisation de la procédure législative, le développement des pouvoirs de contrôle, le Parlement français restera l'un des plus faibles des grandes démocraties occidentales, décourageant les meilleurs volontés, voire poussant les talents à se déporter vers des responsabilités autrement plus denses, à l'échelle des métropoles ou des régions.
Il est du coup urgent d'exiger qu'en parallèle à l'interdiction du cumul le gouvernement et les Présidents de nos deux assemblées prennent l'engagement de mener à bien les transformations indispensables à un rééquilibrage effectif des pouvoirs !
Il en va de même de l'ambition légitime de vouloir renouveler le "personnel politique" : les processus à l'œuvre qui poussent à son homogénéisation sont en réalité trop puissants pour être freinés par une réforme aussi sommaire. Les mandats libérés par le non-cumul ont toutes les chances d'être occupés par des clones : anciens collaborateurs, parents proches ou faire-valoirs ! Si l'enjeu est bien de faire émerger à cette occasion des personnalités représentatives des milieux populaires aujourd'hui de plus en plus écartés du pouvoir, il faudrait s'attaquer aux causes profondes de cette situation. Ainsi les réformes, par ailleurs légitimes, sur la diversité ou la parité n'ont-elles le plus souvent débouché que sur la promotion d'apparatchiks ou de jeunes hauts fonctionnaires aussi riches en ambitions que pauvres en convictions ou en culture politique, et le plus souvent issus des classes moyennes supérieures ou des couches favorisées. Il appartient du coup aux partis de prendre en main cet enjeu en modifiant radicalement leurs modes de fonctionnement et de recrutement, ce que la loi sur leur financement pourrait encourager en intégrant par exemple dans ses critères la part des dépenses consacrées à la formation !
A défaut de répondre à ces questions, l'interdiction du cumul risque de connaître le même sort que la réforme du quinquennat. Censée démocratiser nos Institutions, celle-ci a au contraire eu pour effet de renforcer le pouvoir présidentiel sans aucune contrepartie pour nos Assemblées.
Aussi pourrait-on souhaiter que l'on cesse de se saisir de questions aussi importantes par le petit bout de la lorgnette. A ce jeu en effet, l'on opère une mutation progressive, mais non assumée, de nos Institutions dans le sens d'une présidentialisation et d'une homogénéisation sociale accrues alors que notre ambition devrait être de recréer les conditions d'un rapport plus équilibré entre l'exécutif et le législatif et d'une ouverture plus large de la politique sur la société.
Ce qui reviendrait à donner raison à ceux qui redoutent que le non-cumul finisse par favoriser les appareils et prive nos assemblées des hommes et des femmes de caractère indispensables à une démocratie vivante !