Le rapport que vient de
remettre la commission parlementaire sur la burqa en dit plus
finalement sur les difficultés de légiférer que
ses auteurs n'auraient voulu l’admettre. En témoigne la
solution proposée (une résolution) et l’abstention du
groupe socialiste. Ce qui conforte ma conviction que le recours à
la loi soulève plus de problèmes qu’elle n’en
résout.
Comment ne pas voir tout
d'abord qu'en imposant à chacun d'être «
reconnaissable » sur la voie publique, une telle loi
constituerait une grave atteinte à un principe fondamental de
notre République : le respect de la vie privée ? Elle
s'inscrirait dans cette logique sécuritaire qui conduit à
multiplier les cameras sur la voie publique.
On comprendra peut être
mieux la dérive à laquelle conduirait un tel texte si
on veut bien se rappeler que même le contrôle d'identité
par des officiers assermentés n'est possible que dans des
circonstances strictement encadrées. Et l'on donnerait à
tous sans limite ni condition le droit à reconnaitre toute
personne du seul fait qu'elle croise son chemin ? Pour régler
un problème spécifique, l'on serait amené à
fixer une norme dont les conséquences me paraissent autrement
plus dangereuses que le problème que l'on prétendrait
régler. Il est urgent que tous ceux qui sont attachés
aux libertés veuillent bien prendre conscience de ce qui se
prépare !
Reste la question de la
burqa « stricto sensu ». Dois-je préciser,
pour éviter toute ambiguïté dans laquelle
s'engouffre la polémique, que je n'éprouve aucune
sympathie pour cette « pratique vestimentaire » ?
Mais attention de ne pas
se voiler la face en pensant que l'interdire règlera le
problème. Il le sera paradoxalement, certes, pour toutes
celles qui contraintes de la porter se verront pour les mêmes
raisons contraintes alors de ne plus sortir ! Mais pour les autres,
qui en font au contraire un étendard, une revendication
visible de leur identité, la burqa deviendra un symbole autour
duquel se cristalliseront, presque par obligation, toutes les
frustrations et les humiliations ressenties par les musulmans de
France. Nous les rendrons solidaires d'une pratique qu'ils reprouvent
! Ah, s'il suffisait d'interdire pour faire respecter des principes.
Mais ceux-ci doivent être au contraire partagés, ce qui
relève de politiques sociales, culturelles et d'une pédagogie civique, bien plus
que de lois répressives.
Au fond, notre société
continue malheureusement à avoir peur de l'Islam. Et ne veut
pas prendre en compte la montée du fait religieux. Pour
beaucoup, l'évoquer c'est déjà y céder.
Si l'on veut éviter une exécrable exploitation
politicienne, à laquelle s'est d'abord livré le
Président de la République avant d'être dépassé
par Copé, alors il faut réfléchir à la
manière d'appliquer les règles de notre laïcité
républicaine à l'Islam. Et avant d'interdire, lui faire
sa place au même titre que nos grands ancêtres ont su le
faire en 1905 pour le Catholicisme, entre autres. Cela suppose de
régler explicitement la question des lieux de culte et de leur
financement; de l'enseignement des religions à l'école
; de l'adaptation de notre calendrier de jours fériés,
etc.
Contrairement aux
apparences, la loi de séparation était une loi de
clarification et de tolérance. Et c'est ce respect qu'il nous
faut affirmer en donnant à l'Islam les mêmes droits
concrets, effectifs, qu'aux religions qui appartiennent depuis plus
longtemps encore à notre histoire nationale. Sur cette base,
l’on sera ensuite plus fort pour écarter toute ambiguïté,
toute forme de stigmatisation lorsqu’il s’agira d’interdire ce
que la République ne saurait tolérer : le refus,
par exemple, de laisser un médecin masculin examiner une femme
ou, d’assister à des cours de sciences…
Voilà pourquoi il
ne sert de rien de se focaliser sur la burqa ! Et qu’enterrer ce
rapport devient une priorité pour lui substituer celui de la
commission Stasi dont on a trop vite oublié l’ensemble et la
qualité des préconisations !
Gaëtan Gorce