Mon mauvais esprit m’aura conduit à m’éloigner du champ de nos disputes au moment où celles-ci commençaient à prendre tournure. J’ai effectué après bien d’autres, le voyage de Suède au moment où les propositions du Parti socialiste étaient rendues publiques et c’est depuis les rives de la Baltique que j’ai suivi les préparatifs de la manifestation du 27 mai. J’en reviens à la fois sans déceptions ni illusions convaincu simplement de l’efficacité d’un système qui a décidé de regarder le monde en face.
La Suède a pris de plein fouet les conséquences de la crise. Tournée à 55% de sa richesse vers l’exportation, elle a vu sa croissance s’effondrer de 4,5% en 2009. Parce que les pensions sont indexées sur l’évolution du salaire moyen, les retraites ont à leur tour diminué cette année du même montant. Avant de se redresser selon les prévisions pour 2010 puis 2011 de 2,5 puis 3,5%.
C’est dire que la Suède voit l’avenir de manière optimiste.
Après avoir accompagné la chute de l’euro, la couronne a retrouvé mieux qu’une stabilité. La productivité a certes baissé de près de 15% mais c’était pour limiter la diminution de l’emploi industriel. A 9% enfin, selon les règles du BIT, le chômage semble aujourd’hui avoir atteint son seuil maximum et le gouvernement, comme l’opposition, anticipe une baisse à venir dès cette année.
La résilience du système suédois, spectaculaire pour qui l’observe, repose sur des bases solides.
D’ abord, une vraie maîtrise des finances publiques que la crise précédente du début des années 90 a transformé en véritable impératif de gestion : bien que les dépenses sociales soient les plus élevées d’Europe, le déficit a été contenu à -0,5% du PIB (contre -8% pour la France) et la Suède est deux fois moins endettée que nous ne le sommes (42,3% du PIB). Pour la bonne raison que le pays a su mettre de côté les ressources nécessaires pendant les périodes de prospérité…
Ensuite, une orientation de la dépense sociale radicalement différente de la nôtre : le système social vise plus ici à aider chacun à préparer l’avenir qu’à réparer les effets du passé. Les politiques actives de l’emploi mobilisent 0,4% de PIB de plus qu’en France ; l’indemnisation du chômage représente en revanche 0,5% de PIB de moins que ce que nous observons chez nous. L’investissement dans la recherche varie d’un pays à l’autre du simple au double et celui au service de l’éducation de 0,7 points de PIB. En outre, un système d’imposition qui privilégie les entreprises au détriment des ménages garantit une compétitivité qui s’est traduite par un excédent considérable de la balance des paiements encore l’an passé et probablement cette année.
Enfin, la santé (9% du PIB) et les retraites (10,2 % du PIB) représentent 4,5 % du PIB de moins que ce qu’y consacre la France pour un taux de couverture supérieur dans le premier cas et au moins équivalent pour le second.
Mais, ce qui mérite surtout d’être retenu, c’est la capacité de ce pays à faire face à la réalité, à refuser de se laisser bercer d’illusions et par conséquent, sa détermination à affronter les problèmes. La Suède a, avant tout le monde, réformé son système de retraite. Et chacun sait qu’elle l’a fait en réunissant un consensus entre majorité et opposition. Là se trouve sans doute la principale explication qui nous a d’ailleurs été donnée séparément mais dans les mêmes termes par le vice-président du patronat et par le président de TCO, le Syndicat des « Cols blancs »: « la Suède est un petit pays, fière de sa culture et de son modèle qu’il veut conserver. Nous savons les uns et les autres que pour y parvenir nous devons nous serrer les coudes ».
Ce consensus est d’ailleurs facilité par un climat politique apaisé. Les socio-démocrates sont restés si longtemps au pouvoir (de 1932 à 1976 sans interruption) que leurs valeurs ont imprégné à jamais le pays et la mentalité de ses habitants. Et la droite ne se maintient actuellement aux affaires que parce qu’elle n’hésite pas à rendre hommage à un modèle que la Gauche a eu du mal à renouveler. De l’avis des responsables socio-démocrates que j’ai rencontrés, la campagne nationale de septembre prochain se jouera moins sur les programmes que sur la capacité de leadership démontrée par les dirigeants de chacune des deux grandes coalitions (L’originalité est en effet que la Gauche a su autour du parti social-démocrate réunir les anciens Communistes et les Verts).
L’Europe n’est plus un sujet de dispute ; les deux coalitions ont exclu tout nouveau référendum sur l’Euro pour la durée de la prochaine législature c'est-à-dire pour les 4 ans qui viennent. Et les inégalités, si elles se sont accrues, ne constituent pas encore un enjeu politique. Reste une question qui pointe et qui inquiète : celle de l’identité suédoise « défendue » par une extrême-droite qui, pour la première fois, risque d’obtenir les 5% des suffrages, sésame lui permettant d’entrer au Parlement. Si elle y parvient, elle risque de trouver dans l’appel à l’immigration auquel se livre l’économie suédoise un sujet de controverse sur lequel je n’ai pu manquer d’appeler l’attention de nos interlocuteurs suédois partagés entre préoccupations économiques et humanistes.
Mais, comment ne pas relever que sur ce dossier comme sur d’autres, les Suédois ne peuvent s’empêcher d’aborder l’avenir avec confiance. Leur démographie redémarre, leurs entreprises affrontent la compétition mondiale avec succès… alors que dans le même temps la France et, d’une certaine manière l’Allemagne, sont en proie aux doutes.
Comment expliquer cette différence ? De manière simple : la Suède a choisi de regarder le monde tel qu’il est !