Je vous avais laissé la semaine dernière, vous qui me faîtes l'honneur de me lire, sur un sentiment mêlé et inquiet. Je ne sais pas ce que nous réserve la séance de cet après-midi. J'y serai lorsque les premiers prendront connaissance de ce petit texte. Reste le problème de fond. L'enchaînement des révélations nous conduit désormais au-delà du simple malaise. Peut-on pour autant parler de crise de régime ? Comment expliquer que je trouve cette formule à la fois excessive et pour autant pas totalement dénuée de fondements?
Tout ce qui arrive (ai-je besoin de citer des noms, des faits ?) est la conséquence directe, presque mécanique, de la méthode de gouvernement choisie par Nicolas Sarkozy. Il a voulu s'affranchir de toutes les règles de la décence républicaine : séparation nette entre le Chef de l'état une fois élu et le parti qu'il a soutenu, préférant se conduire encore aujourd'hui comme le seul et vrai chef de l'UMP ; séparation nette, des intérêts publics et des intérêts privés ; allant donner lui-même le (mauvais) exemple de premières « vacances » prises en charge par un gros contribuable ; respect scrupuleux des formes, dont le Président de la république est constitutionnellement le garant, n'hésitant pas à passer outre pour ne prendre que ce cas entre mille, l'avis de la commission nationale de la déontologie, lors de la nomination de l'un de ses proches à la tête d'une grande banque, etc, etc. Comment s'étonner dans ces conditions que ses ministres se soient à leur tout crus autorisés à s'affranchir des règles, des mêmes contraintes que leur « patron » traitait ostensiblement au mieux avec indifférence, au pire avec un mépris affiché?
Mais le problème (puisqu'il y a problème), ne se limite pas à sa dimension morale. Il prend, pour les mêmes raisons, et à une vitesse supersonique, une dimension politique. Pour avoir occulté la fonction de ministre, effacé de facto celle de Premier ministre, le Chef de l'Etat finira par se retrouver seul en première ligne, à devoir rendre des comptes. À tout vouloir gérer ou contrôler, il lui faut maintenant tout assumer.
C'est donc bien à une sorte de crise de régime que l'on assiste, sauf qu'il ne s'agit pas de notre régime politique dans son ensemble, en tout cas pas encore, mais d'un régime qu'il faut bien appeler le régime Sarkozy : mélange de négligence, d'indécence, d'habileté, d'égomanie, qui a ramené la politique à la case 1993. La perte de confiance qui en découle dans le rôle et l'intégrité des dirigeants politiques est évidemment gravissime, au moment où le pays doit travailler à son redressement et, pour y parvenir, se rassembler, autour de ceux qui incarnent son unité.
Aussi de deux choses l'une : ou bien Monsieur Sarkozy devrait écouter quelques bons conseils, qui viennent, y compris de son camp, et retrouver un style de gouvernement qui, en protégeant la fonction présidentielle, protège aussi le fonctionnement de nos institutions. Ou bien, il tentera quelques nouvelles habiletés et contribuera à faire monter dans le pays un vent de refus qui balaiera, lors des prochaines échéances, toute sagesse et tout esprit de responsabilité. Je n'imagine pas qu'il veuille partir. Il lui reste par conséquent le choix, entre rendre à sa fonction sa dignité, ou continuer à l'abîmer au point de rendre inéluctable demain une transformation constitutionnelle qui esquissera la fin de la Constitution voulue et conçue par le Général De Gaulle.
Gaëtan Gorce