La volonté du Président de la République d'introduire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour des Français nés en France mais disposant d'une autre nationalité a tout du déni de réalité.
Elle traduit moins en effet le souci de sanctionner que de nier que les terroristes visés sont français. C'est refuser de voir que pour la plupart ceux-ci sont bien le produit de la société française et appartiennent à son présent. Elle exprime le désir de les expulser symboliquement de la communauté nationale à laquelle il est sous-entendu qu'ils n'auraient jamais dû appartenir. C'est du coup chercher à faire croire que la menace qu'ils constituent est exogène, que celle-ci n'aurait jamais pu venir de français "véritables". Et vouloir rejeter comme étrangers tous ceux qui, de près ou de loin, ont à voir avec une autre culture, comme si la mixité qu'est la bi-nationalité était en quelque sorte... contaminante.
Outre les risques que représente une telle dérive dans la manière de concevoir et de définir la communauté nationale, et dans laquelle on retrouve comme l'écho du débat sur l'identité initié par N. Sarkozy, elle ne peut qu'orienter le pouvoir vers de fausses pistes quant à la façon de répondre au défi qui nous est lancé.
Celle-ci réside certes à court terme dans une riposte sécuritaire voire militaire. Mais elle doit aussi prendre en compte la réalité politique et sociale qui offre à des criminels la possibilité de se réclamer d'une religion pour frapper.
Gilles Kepel, dans son dernier livre, nous le rappelle pourtant avec force : le problème posé par l'Islam en France est d'abord politique et social parce que sa radicalisation est la conséquence de tant de questions, chômage, discrimination et. non réglées.
Les criminels qui ont tué en janvier et novembre n'ont aucune excuse. Et il n'est d'autre moyen de les circonvenir que la répression policière. Mais le terreau sur lequel ils sont nés reste vivant. Et ne cesse depuis 10 ans de se développer. Ce que nous disent les crimes de 2015, c'est que c'est là surtout qu'il faut agir. Ce qui ne peut commencer par le vote d'une disposition qui stigmatisera ceux qui, nés français, viennent d'une autre culture ou aspirent à y rester associés.
Le rôle d'un chef de l'Etat est de rassembler. Le contexte peut certes expliquer la tentation d'occuper un terrain que l'on redoute d'abandonner à l'extrême-droite. Mais cela ne revient-il pas à reconnaître que la gauche a perdu puisqu'elle n'aurait d'autre moyen de se sauver que de retourner contre ses pires adversaires les armes qu'ils utilisent contre elle ? Qui pourra dire ce qui dans cette défaite est dû à un changement objectivement défavorable des rapports de force ou à la résignation et la passivité de la gauche elle-même ? N'est-il pas un peu tôt pour chercher ainsi à faire la part du feu ? Avons-nous utilisé tous nos arguments ? Et la gauche électorale, qui sut réagir, bien que modestement, en décembre ne nous a-t-elle pas rappelé qu'elle est toujours là ? Brouiller les pistes risque de finir de brouiller les esprits. Je ne suis pas certain que nous ayons beaucoup à y gagner !