Intervention en séance - mardi 17 février 2009
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers collègues,
Voici maintenant prés de 6 ans que la question de la fin de vie s'est imposée dans cette enceinte ; il y a fallu la ténacité et la générosité d'hommes et de femmes convaincus de la nécessité de confier au législateur le soin de fixer les règles applicables à une matière complexe et qui engage tant de considérations, qu'elles soient juridiques, médicales, éthiques ou philosophiques. Comment ne pas observer depuis lors que, ce débat n'a cessé de rebondir, cette question de nous préoccuper, et même de nous interpeller ? Depuis l'appel déchirant de Marie Humbert en 2003, l'initiative lancée en 2004 par Madame Morano et moi-même puis, la création de la mission d'information présidée par Jean Leonetti, l'adoption à l'unanimité de la loi du 22 avril 2005, la problématique de la fin de vie n'a plus cessé de s'inviter dans cet hémicycle. Et l'on peut gager que, quel que soit l'esprit des lois que nous sommes et serons appelés à voter, elle ne cessera plus de le faire ! Non seulement parce qu’elle met en jeu des points de vue différents, et parfois presque inconciliables, mais parce que notre société n'en aura jamais fini avec la façon dont elle aborde la mort.
L'évolution des technologies médicales, qui n'est pas près de cesser, aura ainsi autant fait pour actualiser et imposer le débat sur l'euthanasie que les militants du droit de mourir dans la dignité. L'évolution de l'esprit public, sa perception forcement mobile de ce qu'est une fin de vie acceptable, nous obligeront sans cesse à remettre sur le métier notre ouvrage. Et il n'est que d'observer la façon dont l'un des premiers pays à avoir légalisé l'euthanasie a souhaité et su développer avec succès les soins palliatifs pour comprendre que nous allons inéluctablement vers un déplacement, voire un brouillage des frontières entre ces notions. Penser que telle ou telle législation, notre loi du 22 avril 2005 dont nous pouvons nous honorer (comme en témoigne cette terrible affaire en Italie), ou telle autre proposition visant à autoriser un geste médical actif, suffiraient à régler définitivement la question, relève ainsi de l'illusion. Ce débat ne cessera plus de nous occuper au nom de la liberté de choix du patient comme du simple principe d’humanité. Constat qui ne devrait pas ébranler nos convictions mais nous conduire à renoncer à quelques certitudes qui traitent avec trop de passion ce qu'il nous faudra résoudre chaque fois avec plus de raison ! En témoigne la proposition qui nous est présentée aujourd'hui qui vise à permettre aux proches d'accompagner la fin de vie d'un mourant.
Cette proposition fait suite aux travaux de la deuxième mission Leonetti dont j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'ils ne m’avaient que partiellement satisfait. Je ne partage pas, en effet, (je crois en avoir explicité les motifs voilà quelques instants) l'idée selon laquelle la loi du 22 avril ne devrait être modifié qu'à la marge. Il me semble qu'un nouveau pas aurait pu et même dû, être franchi. Dans le sens d'une formule d'exception à laquelle plusieurs conclusions de la mission font implicitement référence. Ainsi de la création d'une structure de médiation dont le rôle évoluera nécessairement à travers la prise en compte des cas précis dont elle sera saisie vers une forme d'instance d'appel, éthique, certes, mais que la loi ne pourra enfermer ou restreindre. Ainsi des recommandations relatives aux sédations accompagnant l'agonie d'un mourant que la simple humanité invite à abréger. Sur tous ces points, grâce d'ailleurs à la création d'une instance d'évaluation, nous serons appelés a revenir. Et je l'espère : dans le même esprit transpartisan qui nous anime depuis le début et qui nous a toujours permis de privilégier la qualité de nos débats sur leur intensité !
Je le disais en débutant, notre Parlement a su se saisir de la question de la fin de vie dans ses différentes dimensions. Il le démontre encore aujourd’hui. Nous le savons : les trois quart des décès surviennent à l’hôpital. Et le plus souvent hors de la présence des proches. Il s'agit là d'une situation insupportable. Alors que les premiers instants de l'homme sont désormais partagés le plus largement possible, ses derniers instants restent le plus souvent confisqués aux proches. L'angoisse de la mort qui approche demeure vécue dans un univers non familier, dans un isolement sans doute plus terrifiant que la mort elle même. S'il est une définition possible de la mort douce c'est sans doute celle qui intervient à son foyer en présence des siens comme pour en prendre congé. D'où la belle idée de cette allocation destinée à permettre la présence d'un membre de la famille en permanence et à faciliter par conséquent la possibilité de mourir chez soi. L'être humain est plus, en effet, que la vie qui l'anime : il fait corps avec son environnement, ses enfants, ses amis qu'il ne doit quitter que lorsque la vie le quitte et non dès que la maladie l'en éloigne. Il nous restera certes beaucoup à faire pour permettre cela. Mais cette proposition en est le premier maillon. Je suis fier d'en être, grâce à Jean Leonetti, l'un des quatre signataires ; je suis reconnaissant au Premier Ministre d'en avoir aussitôt accepté le principe ; je suis heureux, enfin, de voir que ce texte est approuvé sur tous les bancs. Je forme le vœu que le Gouvernement saura en faire publier rapidement le décret d’application. Il lui faudra, en particulier, veiller à déployer ce qui est la condition de sa réussite : le développement des équipes mobiles de soins palliatifs et l’hospitalisation à domicile. Il faut, Madame la Ministre, que vous preniez, sur ce sujet, des engagements précis sans lesquels cette loi risque de ne produire que partiellement ses effets positifs.
Nous sommes, mes chers collègues, en train de procéder à une construction juridique nouvelle. étape par étape, débat après débat, loi après loi, nous sortons la mort du silence et du vide juridique dans lesquels notre société l'avait enfermée. Nous bâtissons un droit, celui de la fin de vie, qui parce qu'il touche de si prés à l’essentiel, ne cessera plus d’évoluer. Non pour répondre à une quelconque injonction philosophique ou partisane mais par souci d’humanité. Aider, comprendre, soulager, accompagner, donner enfin à chacun le soin de décider non du moment de sa mort, qui n'appartient a personne, mais des conditions de sa mort : tel est le chemin sur lequel nous sommes engagés sans plus pouvoir revenir en arrière !