Hakim El Karoui vient de publier dans Marianne, à la suite de son nouveau livre, un article stimulant.
Stimulant parce qu'il prend la peine, et le risque, de nous rappeler qu'une partie de notre avenir se joue hors du cadre hexagonal. Au cœur de la crise des retraites, le propos mérite d'être entendu.
Nul doute en effet que les principaux défis qui nous sont lancés (l'avenir de notre industrie, le niveau de nos échanges, l'évolution de notre pouvoir d'achat), le sont à l'échelle de l'Europe tout entière. C'est en tout cas ainsi que depuis plus de 50 ans, nous avons choisi de l'entendre, et que, depuis l'unification du marché intérieur et la mise en place de l'Euro, nous l'avons de nouveau décidé.
Il est donc urgent, comme l'écrit Hakim El Karoui, de nous demander, face à la compétition formidable que nous opposent la Chine et les pays émergents : « à quoi sert-il d'être ensemble ? » Si l'Europe ne nous sert pas à mettre en commun nos ressources et plus encore nos ambitions, quel est donc son objet ? Or, l'on assiste, depuis de nombreuses années, sous l'effet de déceptions croisées, d'une part, à une renationalisation des politiques (il suffit d'observer les choix opérés par l'Allemagne qui mène une politique que l'on ne peut que qualifier de « dévaluation compétitive ») et d'autre part à un retour à l'intergouvernemental (qui a pour effet de nous faire perdre de vue notre intérêt commun).
L'Europe est aujourd'hui la grande perdante de la partie à trois qui se joue entre elle, les États-Unis et la Chine. C'est l'Union qui, à coups d'euros forts et de perte d'emplois industriels, paie le prix de la faiblesse du Yuan et du Dollar. Combien de temps l'acceptera-t-elle encore ? Et surtout, combien de temps encore, les citoyens et les salariés européens se satisferont-ils de voir leurs emplois et leur pouvoir d'achat amputés au nom de la vertu que les autres se refusent à pratiquer.
Il n'y a en effet qu'une explication à l'attitude de la BCE, c'est de vouloir être vertueuse pour trois. Racheter largement des obligations d'états, comme le fait la Fed, prendre le risque de l'inflation pour faire échapper les États au carcan imposé par les marchés financiers, reviendrait inéluctablement à faire à son tour glisser l'Euro et à précipiter une nouvelle crise financière. Mais l'inconvénient de la prudence, justifiée, de la BCE, c'est qu'elle fait payer aux seuls Européens le prix de la guerre des monnaies. Qu'en déduire ? Que l'Union doit certes se rassembler pour reprendre l'initiative. Mais autour de quelle politique? Pour Hakim El Karoui comme pour une partie du PS, celle-ci ne pourrait être que la menace, d'abord, la mise en place, ensuite, d'un tarif extérieur commun plus « efficace », au total plus protecteur. Cette solution trouvera, y compris dans le patronat français, de nombreux défenseurs. Mais c'est celle du repli.
Se protéger, c'est s'immobiliser ! C'est prendre un risque redoutable, alors que, dans ce monde nouveau, en plein développement l'Europe n'est déjà que trop à l'écart des grands courants d'échanges, d'innovation, et de croissance.
La réponse est monétaire. Elle passe par une intervention commune de la FED, de la BCE et de la Banque du Japon, visant à stimuler leur consommation intérieure en injectant de l'argent frais par l'achat de titres d'État. Menée en coopération avouée, cette opération déjouera la spéculation qui pourrait parier, à défaut, sur la chute de l'une ou l'autre des trois monnaies. Elle aurait pour effet de réajuster l'Euro à la baisse sans mettre en danger le Dollar. Elle constituerait un signe fort adressé à la Chine de revoir sa parité et plus encore sa stratégie tournée d'abord vers l'exploitation.
Quel rapport, me direz-vous avec la présidentielle ? Entier, total, complet ! La réaffirmation attendue de la volonté politique face à la crise peut conduire à la démagogie. Sauf si elle s'appuie sur des propositions concrètes et opérationnelles. Dire clairement que nous refusons de subir les conséquences de la guerre des monnaies, que la France et l'Allemagne doivent se retrouver autour d'un projet commun pour défendre leurs économies, adresser le défi de la coopération aux États-unis et au Japon, ce serait retrouver une identité et un message. Un programme, quoi !
Gaëtan Gorce