De la crise d'identité dans lequel il est plongé, le parti socialiste ne pourra sortir que par le haut, en réactivant un projet qui ait du sens, qui se situe dans une perspective d'avenir. C'est l'objet du texte qui suit et qui sert de base au cercle de réflexions que nous venons de créer (http://cercleecosoc.wordpress.com ).
Pour un éco-socialisme !
Pour un socialisme moderne, populaire et exemplaire
Au moment où l'idée socialiste est remise en question, où certains nous invitent à n'y plus faire référence ou d'autres à lui préférer la social-démocratie ou le social-libéralisme, nous pouvons et devons réaffirmer notre attachement à un socialisme à la fois moderne et fidèle à son histoire, en actualisant ses belles notions que sont le partage et l'entraide, la coopération, le progrès humain et en invitant dirigeants et militants à faire preuve d'inventivité et d'exemplarité ! Le défi climatique nous offre l'opportunité et les moyens de construire un tel projet sans rien renier de ce que nous sommes !
C'est parce qu'il a une histoire que le socialisme a un avenir. Et c'est en intégrant à celle-ci le défi formidable que représente l'écologie qu'il redonnera force et vie à la revendication séculaire au progrès et à la justice qu'il porte depuis plus d'un siècle.
Le premier socialisme, né de la volonté de reconstruire une communauté humaine déstabilisée par la double Révolution, politique et industrielle, du début du XIXème, avait débouché ainsi sur la formulation d'une utopie alternative justifiée par la violence de son affrontement avec un capitalisme " sauvage". La rencontre de ces deux projets, d'abord idéologiquement brutale, s'est ensuite pacifiée à travers une association inédite de l'économique et du social qui a "coïncidé" avec la phase la plus aiguë de prospérité que le monde (occidental) ait connu.
Cette alliance n'a cependant pu fonctionner qu'autant qu'elle correspondait à l'exercice de la souveraineté dans un cadre national. Parce qu'il était d'abord un projet national, transposable mais propre à chaque pays, le projet social-démocrate n'a du coup pas survécu à la globalisation faute d'avoir pu transférer à l'échelle de la planète le modèle de régulation sur lequel il reposait. Parmi ses héritiers, certains se sont depuis résignés à cette absence de règles, oubliant alors ce qui fait la spécificité du socialisme, à savoir la volonté de contrebalancer les lois économiques de la rentabilité par la prise en compte des préoccupations tirées de la vie elle-même : l'égalité, la justice, la qualité des échanges...
Aussi est-ce un troisième temps du socialisme répondant aux défis de ce capitalisme mondialisé qu'il nous faut aujourd'hui inventer, et qui fasse pièce à l'ultra-économisme qui s'est installé en maître sur le devant de la scène et qui s'attaque aux frontières séparant non seulement les États mais le public du privé, le marchand du non-marchand, le sacré, y compris l'intime, du consommable.
Cet ultra-économisme puise sa force dans la double caractéristique qui est la sienne: puissance productive, elle offre à l'individu la perspective d'accroître sans cesse le champ de ses satisfactions matérielles; puissance symbolique, elle amène l'humanité tout entière à penser selon ses propres catégories. Il est cependant aujourd'hui profondément ébranlé et ne se maintient que faute de se voir disputer son leadership idéologique. La crise financière en a en effet montré les fragilités intrinsèques. La crise des valeurs qu'il suscite en souligne chaque jour les dangers pour l'homme qui ne peut se satisfaire de n'être plus qu'une "machine doublée d'une machine à calculer" (Mauss). Mais c'est plus encore sa viabilité qui désormais nous interpelle au vu des conséquences redoutées du réchauffement climatique auquel il contribue.
Dans un tel contexte, l'écologie constitue la dimension naturelle du socialisme, si l'on veut bien admettre que celui-ci est d'abord et avant tout un "anti-fatalisme " !
D'abord parce qu'elle lui permet de redéfinir son rapport au progrès. Non seulement en reconnaissant son ambivalence et par conséquent la nécessaire précaution à lui appliquer, y compris d'un point de vue démocratique via l'évaluation citoyenne. Non seulement en lui permettant de rompre avec une vision déterministe du progrès, la transformation des systèmes de production et de consommation nécessitât un fort degré d'innovation. Mais aussi en élargissant la notion de progrès à celle plus large, plus riche de progrès humain, c'est à dire à la prise en compte de critères permettant d'apprécier l'évolution de la qualité de la vie en société. Ce qui rejoint la réflexion désormais largement engagée visant à substituer à la définition de la richesse que constitue le PIB une autre qui inclut la santé, l'accès au savoir, la nature des relations sociales, des emplois...
Ensuite parce qu'elle offre la possibilité à l'idée socialiste de réactualiser plusieurs de ses valeurs identitaires, à commencer par la justice sociale dont le contenu s'est flouté au fil du temps. La lutte contre les Inégalités est en effet indissociable de celle pour la protection de l'environnement. Les conséquences du réchauffement climatique seront d'autant plus lourdes que certaines populations, parmi les plus déshéritées, y auront été plus exposées. Ce qui appelle à donner, entre les nations et au sein de chacune d'entre elles, une impulsion nouvelle aux idéaux de redistribution. A cela s'ajoute l'idée que le droit à la subsistance doit être plus que jamais garanti invitant à la mise en place de régulations des marchés alimentaires mais aussi une aide au développement tournée vers l'auto-subsistance. Qui peut nier enfin que les inégalités soient sources de gaspillages qui accentuent encore les effets de la destruction des ressources naturelles et des matières premières ? Plus la croissance sera équitablement partagée, moins il sera nécessaire qu'elle atteigne des niveaux élevés ! D'autant que si la croissance facilite la redistribution et le plein-emploi, elle n'en est pas la condition exclusive.
Une politique fiscale plus juste ne dépend pas seulement de la taille du gâteau mais de la détermination de ceux qui contribuent à le découper. Elle dépend ainsi de son degré d'universalité (tous les revenus sont-ils pris en compte et de qu'elle manière ?) de sa progressivité comme de la place laissée aux services publics dont l'accès n'est pas commandé par le niveau de revenu.
De la même manière, à la question de l'emploi pourraient être apportées d'autres formes de réponses prenant mieux en compte les temps de la vie (formation tout au long de la vie, réduction du temps de travail etc.).
Il s'agit bien là d'un véritable projet de société qui ne se limite plus à une relance de l'économie et permet du coup de différencier le socialisme du libéralisme social. A quoi s'ajoute l'exigence des réformes qui l'accompagne ; il n'est en effet pas exclusif, bien au contraire, d'une maitrise de la dépense sociale rendue possible par une meilleure adaptation de celle-ci aux besoins (à travers par exemple la priorité donnée à la prévention en matière sanitaire comme en matière d'éducation).
Enfin parce que l'urgence écologique conduit à réhabiliter les outils politiques socialistes. Cette orientation ne peut pas en effet reposer sur des ajustements économiques trop aléatoires.
Elle devra déboucher sur des résultats pour ne pas compromettre l'objectif initial que la collectivité s'est assignée. Aussi conviendra-t-il à l'échelle locale, nationale, et si possible européenne, de se doter de nouveaux outils d'une planification indicative, notamment pour maitriser l'évolution des approvisionnements et de la consommation énergétiques. De même conviendra-t-il d'encourager le consommateur à se tourner vers les services collectifs ou l'immatériel comme de chercher à anticiper l'impact des innovations technologiques. Cet exercice nécessitera enfin une large décentralisation et une implication forte des citoyens favorisée par l'évolution des moyens d'échange et de communication.
Toutes ces raisons ne sont-elles pas assez fortes pour faire de l'éco-socialisme l'axe de notre projet ? Et en tirer les conséquences.
La pédagogie devra en être entreprise le plus en amont possible pour déboucher non sur une culpabilisation des citoyens mais sur la démonstration que la lutte contre le réchauffement peut être l'occasion d'améliorer les conditions de la vie quotidienne, du logement au transport, en passant par les avantages qu'elle peut représenter pour le pouvoir d'achat via les économies d'énergie par exemple...
Ajoutons qu'un discours offensif sur ce sujet ne pourra être entendu qu'associé à une politique claire s'appuyant sur toute une panoplie d'outils offerts à l'action publique : la taxation carbone pour intégrer les externalités écologiques dans les prix; l'interdiction de produire ou de faire de la publicité de produits trop prodigues en énergie etc., le tout favorisé par un État exemplaire (éco-responsabilité à tous les niveaux des administrations et entreprises publiques, prise en compte des critères environnementaux dans les commandes publiques etc.).
Notons enfin que cette mutation soulèvera des problèmes qui ont de tout temps passionné le mouvement socialiste. Ainsi du droit de propriété, appelé à subir de nouvelles limitations au nom de la protection de l'environnement mais dont l'usage pourra, s'agissant par exemple de la voiture, être soumis à de nouvelles limitations ou formes d'utilisation collectives. De même encore, pour certains marchés dont la création, loin de dépendre de l'initiative privée, reposera entièrement sur la décision de la collectivité d'imposer ou de subventionner certains types de production ou de consommation (solaire etc.). De même enfin, conviendra-t-il de chercher à favoriser, à l'échelle mondiale, un système de gouvernance qui assure la protection des "biens publics mondiaux" que sont les océans, les fleuves, l'atmosphère etc., renouant avec l'internationalisme à partir de questions concrètes.
L'éco-socialisme nous permettra ainsi de reprendre l'initiative et de sortir de débats piégés depuis la chute du Mur : celui des instruments d'une intervention publique efficace et crédible qu'il conduit à réhabiliter. Bien sur, il ne saurait s'agir d'en revenir à des formes traditionnelles d'action publique, encore que les nationalisations pourront se trouver justifiées dans certains cas, mais plutôt d'encourager le travail conjoint d'une multitude d'acteurs, autour d'objectifs définis démocratiquement, en somme d'une nouvelle alliance entre une collectivité publique réformée et une société responsabilisée. L'éco-socialisme est donc inséparable d'une réforme de l'Etat comme d'un approfondissement de notre démocratie...
Une telle approche redonnera également tout leur poids aux références éthiques dont nous étions porteurs et dont nous nous sommes éloignés : dès lors que le "bonheur" des individus ne dépend plus d'un choc révolutionnaire ou d'un système utopique, voire d'un déterminisme scientifique, il relève de la volonté éclairée des hommes de s'organiser et de s'entendre, c'est à dire des politiques concrètes suivies mais aussi de l'attitude des membres de la société comme de ses responsables, de leurs dispositions morales et psychologiques, de leur esprit de solidarité. Le socialisme moderne sera ainsi d'autant plus lui-même qu'il saura se ré-approprier les formes élémentaires et facilement popularisables de la convivialité, de l'entraide, de la mesure et du désintéressement. Bref, rendre au lien social son importance et sa valeur en soi, et au comportement de chacun, et d'abord à ceux qui sont investis de responsabilités publiques, sa vertu pédagogique. Plus largement encore, l'éco-socialisme nous armera contre la montée des valeurs identitaires et autoritaires à travers lesquelles ressurgit le besoin d'un collectif de référence. En soulignant la solidarité qui doit nécessairement exister, à tous les échelons, locaux, nationaux et mondiaux, pour maîtriser le risque lié au réchauffement climatique, il nous conduit, contre les libéraux-conservateurs, à revaloriser les notions de coopération qui sont à la base de toute communauté humaine active. Plutôt que de se tourner vers le passé, il offre aux hommes un nouveau projet d'avenir bien éloigné du fatalisme, de l'égoïsme ou de la nostalgie ambiante, terreau sur lequel prospèrent les rhétoriques réactionnaires.
L'éco-socialisme est à cet égard un ensemble plus cohérent que tout autre et peut-être que les autres formes de socialisme n'ont jamais été. Sa vision de l'environnement ne se limite pas à la protection de la nature ou des espèces; elle inclut tout ce qui fait « une vie humaine » : la beauté, le savoir, le respect, la sociabilité etc. Et c'est au nom de la protection de cet environnement, aussi culturel et social, qu'il invite les hommes à s'organiser, c'est à dire à ne pas céder aux formes d'impuissance que l'atomisation de la société a insinuées dans les esprits depuis des décennies.
La nouveauté de la démarche, c'est qu'elle ne s'assigne plus un but final. Elle repose au contraire sur l'inventivité démocratique et sociale et constitue une invitation à approfondir tous les mécanismes de participation et de délibération. Comment ne pas voir que L'éco-socialisme est, au final, le point de rencontre d'une série d'évolutions, le point de maturation de mutations politiques, économiques et sociales dont il nous invite à tirer toutes les leçons ?
A cet égard, le défi lancé à la gauche, mais aussi à la société comme à l'Etat, n'est pas moindre que celui que nos grandes nations furent invitées à relever au lendemain de la Grande dépression puis de la seconde guerre mondiale. Il s'agissait là aussi de trouver des réponses à des dérèglements que nul, ou presque, n'avait alors anticipés. Il s'agissait là aussi de réconcilier les sociétés avec elles-mêmes.
Face à cet enjeu, l'urgence écologique est en mesure de jouer le rôle d'un formidable éveilleur de conscience : elle démontre en effet l'absolue nécessité de coopération que la justice sociale aussi bien que la survie de la planète doivent placer désormais au sommet de notre agenda.
Gaëtan GORCE -David ELKAIM- Laura BÉROT-Hicham BOUJLILAT-William LEDAY- Nicolas LERON