Le refus de prendre les Français au sérieux, de s'adresser à eux comme à des citoyens matures, conduit les responsables politiques de tous bords, et d'abord les candidats à la présidentielle, à agiter des leurres plutôt que d'assumer leurs choix.
Il en va ainsi de Marine Le Pen et de sa "France apaisée" à l'opposé de ce que propose et produirait son programme de rupture. Il en va ainsi d’Alain Juppé qui - parce qu'il est, de tous les prétendants à l'Elysée, le plus rassurant - évite soigneusement tout engagement précis et s'en tiendra probablement à cette attitude conscient que toute clarification jouerait forcément à ses dépens. Quant à Nicolas Sarkozy, qui peut croire à sa volonté proclamée de rassembler son camp ? Ou mieux, qu'il aurait changé comme il s'acharne à le proclamer ? ll en va tout aussi bien de Jean-Luc Mélenchon : comment peut-il espérer, avec sa stratégie de la terre brûlée, disputer à ses concurrents la qualification pour le second tour ? Sans parler de Cécile Duflot ou d'Arnaud Montebourg qui n'ont su trouver ni les alliés, ni la méthode pour s'imposer dans le débat.
La toute récente tribune, si médiatisée, de Martine Aubry n'échappe pas à cette règle. Officiellement, elle marque un désaccord irrévocable avec la politique du chef de l'Etat. Cette voix forte, qui rappelle que tout n’est décidément pas possible pour un Gouvernement qui se dit encore socialiste, est bienvenue. Cependant, en refusant de se déclarer candidate à la Primaire, elle nous dévoile sa véritable cible (le Premier ministre) et le véritable enjeu de son offensive : le contrôle du PS au lendemain d'une présidentielle qu'elle et ses amis jugent d'ores et déjà perdue.
C'est donc tout naturellement dans ce jeu trompeur que le président de la République a choisi à son tour d'entrer, sans, avouons-le, devoir trop forcer son talent. Ses dernières initiatives traduisent un souci tactique évident : tenter, pour l'heure (leurre ?), d'échapper à ses responsabilités ! Détourner de lui l'attention que suscite forcément l'approche de la présidentielle.
Première étape : afin de dévier ou d'affaiblir les tirs qui le visent, installer le doute sur sa volonté de se représenter. C'est à cela que servent les confidences savamment distillées dans le JDD voici une semaine, comme l'intérêt officieusement manifesté par le « Château » pour la Primaire (au départ dénigrée avec hauteur) ou le rappel de l'engagement pris de ne solliciter un second mandat qu'en cas de baisse du chômage. Tout est aujourd'hui mis en œuvre par l'équipe présidentielle pour faire baisser la pression (qui se traduit par une chute continue dans les sondages) et l'orienter ailleurs.
Là se situe la deuxième phase de l'opération : faire porter sur un autre la responsabilité des difficultés, comme celle des dissensions au sein de la gauche. Et qui, mieux que le Premier ministre qui, lui (il faut lui reconnaître ce mérite), ne cherche à leurrer personne ni sur son projet, ni sur ses intentions, pourrait tenir ce rôle du "méchant" imposant à un président, au fond beaucoup plus à gauche, une ligne dure et dissensuelle ? Du coup les proches de l'Elysée s'activent et les couloirs du Parlement bruissent des déclarations de "Hollandais" autrefois plus prudents pour reprocher au Premier ministre de chercher à entraîner le président de la République sur une voie qu'il n'aurait pas choisie, façon de rejeter toute responsabilité à l'égard des mesures qui fâchent : la déchéance ? C'est Valls qui aurait obligé le président à ne rien céder ! Idem sur les réfugiés ou les mesures pénales, voire la réforme du code du travail et la menace du 49-3 !
Singulière opération visant à dédouaner le chef de l'Etat d'une politique qui porte sa marque mais l'a coupé de ses bases. Mais qui explique les rumeurs de changement de Premier ministre à quelques jours du remaniement ou les accusations de plus en plus fréquentes portées par la garde rapprochée du président accusant Valls de chercher en fait à préparer la défaite de François Hollande pour mieux prendre la main dès l'été 2017...
On nous ferait presque croire à une nouvelle cohabitation. Comme s'il s'agissait de préparer la gauche à l'idée que Hollande serait l'an prochain le meilleur rempart ....contre son propre Premier ministre. On comprend dans ces conditions que l'initiative de Martine Aubry, puisqu'elle s'est arrêtée au bord du Rubicon (en ne contraignant personne à participer à la Primaire), ne gênera qu'un temps le président de la République. Celui-ci aurait sans doute préféré moins de tapage mais soyons certain qu'il a déjà imaginé comment instrumentaliser cette opération qui ne lui serait paradoxalement dommageable que s'il devait renoncer à se présenter.
C'est qu'au fond, parmi tous ceux qui s'agitent, aucun n'a vraiment l'intention de renverser la table. Qu'ils se déclarent sociaux-libéraux à la Macron, Valls (ou Hollande?) ou sociaux-démocrates à la Aubry, tous, par souci tactique mais aussi difficulté à "penser" la période actuelle, passent à côté des véritables enjeux.
La crise économique et financière a démontré l'inanité d'une politique d'adaptation à une mondialisation qui, de manière systémique désormais, ne se reconnaît aucune règle stable. La crise écologique plaide pour un retour des instruments d'intervention publique et un approfondissement de la démocratie auxquels ces tenants d'une gouvernance traditionnelle sont incapables de souscrire. Enfin, la crise morale qui accable l'Europe plaide pour une réaffirmation de la France sur la scène internationale à laquelle tous ne croient plus depuis longtemps, l'échec de l'intégration et la réaffirmation de la puissance de l'Allemagne ayant laissé tous ces héritiers de Delors sans voix (voie?).
Au fond, le problème auquel la gauche est confrontée est que tous ses prétendus dirigeants, par un ludique effet boomerang, se leurrent eux-mêmes en se référant à des scénarios dépassés. A malin, malin et demi : Valls nous rejoue Blair avec 20 ans de retard et alors que l'échec de la « Troisième voie » est consommé, y compris au Royaume Uni. Et Aubry (et paraît-il Hollande) en pince pour une social-démocratie présentée comme une option rénovatrice, une alternative au vieux socialisme alors que ses bases (le compromis social avec un patronat disponible) se sont effondrées.
A droite comme à gauche, on refuse au fond de voir que la période appelle des révisions et des mesures radicalement neuves. Mais il est vrai que rien n'est plus difficile pour un dirigeant habitué à trancher de tout et sûr de son jugement en dépit de ses échecs (notre politique est ainsi faite) que de se remettre en question et réviser ses schémas de pensée....
L'on peut sans doute attendre mieux de la politique que ce goût de la manœuvre, mais pour "leurre" c'est tout ce qui nous est promis.... sauf si parlementaires et militants décidaient de s'émanciper de ces chefs qui collectionnent les erreurs et les échecs. Mais n'est-ce pas trop demander à un monde politique " vieilli, usé, fatigué" ? C'est en tout cas la seule voie digne....