À lire vos mails et vos réactions, je comprends et je partage la colère et l'hébétude que provoque la crise dans laquelle est plongée notre parti. Mais au lieu de simplement s'en étonner ou s'en tordre de honte, vaut-il mieux rechercher les causes, en comprendre les ressorts pour échapper juste un moment à l'atmosphère passionnelle qui nous environne depuis cinq jours. Nous sommes à l'évidence à la fin d'un processus. Il eut mieux valu qu'il fut maîtrisé. Les logiques folles que je n'ai cessé de dénoncer depuis 18 mois l'ont manifestement empêché.
Mais ce processus ira à son terme, la seule question qui demeure, est désormais de savoir par quelle voie!
Quelle que soit l'issue à laquelle on parvienne à la fin de cette journée, c'est en toute hypothèse à la décomposition d'un système que l'on va assister. La victoire de Ségolène Royal, qui a bien peu de chances d'être reconnue, déboucherait inéluctablement (elle en a même fait le coeur de son projet) sur une transformation radicale de nos procédures. C'est d'ailleurs bien ce qui motive l'opposition qu'elle suscite et le refus des « maîtres de l'appareil » de lui en abandonner la direction. Et le forcing de son équipe ces derniers jours n'a pas eu d'autre objet que de démontrer l'inanité, l'archaïsme, l'obsolescence de méthodes de travail comme de vote qui ne correspondent plus en rien aux exigences d'une démocratie moderne. Je l'ai dit et écrit suffisamment sur ce blog pour ne pas craindre aujourd'hui de me répéter.
Mais l'élection de Martine Aubry, si elle devait être politiquement confirmée ce soir par le Conseil national ne pourrait pas aboutir à d'autres résultats. Son installation à Solférino signifierait en effet, au même moment où elle s'assiérait dans le fauteuil de François Hollande, la fin de la coalition hétérogène qui l'a soutenue. Celle-ci, incapable de s'entendre à Reims sur une ligne politique n'a pu se constituer que pour faire obstacle à la candidature de Ségolène Royal. Cette dernière écartée, ces alliés d'un moment ne tarderont pas à reprendre leur liberté. Et la direction que se sera donnée ainsi le PS sera à la base affaiblie et privée de cohérence. Où trouvera-t-elle dans ces conditions, la force de renouveler, de réformer, de reformuler, aussi, un projet politique?
Je ne sais si le parti pourra survivre à la bataille qui fait rage aujourd'hui. Mais il est clair qu'il ne survivra pas à trois nouvelles années d'immobilisme.
Mais au-delà des méthodes (et c'est précisément cela que j'ai voulu dénoncer tout au long de mon livre : Choisir, lettre ouverte à ceux qui veulent espérer de la gauche) c'est le refus d'accepter la réalité politique qui surprend et effraie. Ségolène Royal (dont je ne suis ni un fan, ni un supporter, mais un soutien politique, c'est-à-dire raisonné et réfléchi) s'est, avec l'appui de l'opinion, qu'on le veuille ou non, rendue incontournable. Candidate à l'élection présidentielle à la faveur d'un plébiscite militant, elle a réussi le tour de force non seulement de se placer en tête de toutes les motions mais d'obtenir 50% des voix au scrutin de vendredi sans aucun ralliement, c'est-à-dire à partir de ses propres forces. Dans de telles conditions, que l'on aime ou non Ségolène Royal, n'est pas la question c'est parce que l'opinion et les militants socialistes l'ont placée au centre de la vie politique de la gauche, qu'elle a vocation à en prendre la direction. Lui laisser une telle responsabilité s'appelle, au pire, si l'on s'attend à son échec, « lever une hypothèque », au mieux, si l'on croit à son succès, tirer les conséquences logiques d'une situation politique.
Il n'est à ce stade question ni d'affection, ni d'adhésion, ni de détestation, mais simplement de politique! C'est sans doute ce qu'il y a de plus grave dans la situation actuelle du Parti socialiste : ce refus irrationnel de s'appliquer les lois de la politique; cet aveuglement qui a conduit à l'empêchement et à la crise.
Tout cela conduit, quoiqu'il arrive ce soir, à la fin d'un système! Accélérée si Ségolène Royal l'emporte, simplement ralentie si Martine et ses amis persistent.
Tout, naturellement, doit être mis en oeuvre, par respect pour les hommes et les femmes de gauche, pour prévenir l'explosion et mettre un terme au pugilat. Mais il nous faut d'ores et déjà nous préparer (et c'est le point positif qui sortira de ces moments difficiles) à penser désormais autrement et le Parti socialiste et la gauche. Nous entrons nécessairement dans une période nouvelle. Sans doute aurions-nous pu espérer que la fin du parti d'Epinay soit moins brutale, mais, comme l'on disait autrefois, le parti d'Epinay est mort (à plus ou moins court terme) vive le nouveau parti socialiste qu'il nous reste à inventer! Consacrons -nous dans les prochaines mois à réfléchir, débattre, proposer, bref à réinventer un projet. C'est son absence qui a été le dissolvant du système finissant, c'est son émergence qui sera l'annonciateur de la reconquête.